Menu
Libération
TRIBUNE

Des mesures ambitieuses contre les discriminations à l’embauche

En France, les personnes d’origine étrangère sont plus pénalisées que les Afro-Américains aux Etats-Unis.
par Marie-Anne Valfort, Enseignante-chercheure à l’Ecole d’économie de Paris et à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne
publié le 4 novembre 2015 à 17h46

Le 26 octobre, Manuel Valls a confirmé l’engagement de son gouvernement dans la lutte contre les discriminations à l’embauche. On ne peut que s’en réjouir, car les personnes d’origine étrangère sont confrontées à une inégalité de traitement d’une exceptionnelle intensité sur le marché du travail français. A qualification identique, Mohammed doit envoyer 4 fois plus de CV que Michel pour décrocher un entretien d’embauche. En France, la pénalité subie par les hommes musulmans pour l’accès à l’emploi est 6 fois supérieure à celle rencontrée par les Afro-Américains par rapport à leurs homologues blancs aux Etats-Unis. Et présenter un parcours d’excellence ne change rien à la donne. Cette discrimination nourrit le ressentiment des populations discriminées. Car elle les marginalise économiquement. D’après l’Insee, le taux d’emploi des Français d’origine maghrébine est de 60 %, contre 78 % pour les personnes dont les deux parents sont français à la naissance.

Les pistes retenues par le gouvernement ont peu de chance d’aboutir. La campagne nationale de testing, qui sera menée en 2016, ne permettra d’épingler les éventuels comportements discriminatoires que d’une minorité d’employeurs : ceux de grande taille qui n’auront pas infléchi leurs pratiques le temps de cette campagne. Quant à la mise en œuvre d’une action de groupe, elle renforcera la menace juridique, ténue, qui pèse sur les recruteurs. Mais elle n’offrira pas de réponse globale aux discriminations à l’embauche. A l’image de la campagne nationale de testing, elle ne s’applique pas aux établissements de petite taille dont le volume d’offres d’emplois n’est pas suffisamment élevé pour permettre sa conduite. Or, les TPE et PME, qui représentent la quasi-totalité des entreprises françaises, discriminent massivement.

Comment réduire les comportements discriminatoires de tous les employeurs ? Le CV anonyme ? Il ne fait que repousser à l'entretien d'embauche une discrimination qui se serait sinon produite lors du tri des CV. La pédagogie ? Elle fait partie de l'arsenal à considérer, mais il est vain de croire qu'on parviendra à former efficacement tous les recruteurs. Une subvention à l'embauche pour les minorités visibles discriminées, à l'instar de celles qui existent déjà pour corriger les inégalités sociales, pourrait réduire les discriminations. Elle rétablirait une égalité de traitement que l'on sait gravement bafouée. Elle compenserait les réticences des employeurs à recruter des personnes qu'elles connaissent mal, ou envers lesquelles elles ont des préjugés infondés. Pour faciliter les tâches de recrutement des employeurs et l'accès à l'emploi des minorités visibles, cette subvention pourrait être accompagnée du déploiement d'intermédiaires de l'emploi spécialisés dans le placement de «candidats minoritaires». Seules des mesures ambitieuses de ce type sont susceptibles d'apporter enfin un changement.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique