Cofondateur du Festival du cinéma de Brive (Corrèze) consacré aux moyens-métrages, le réalisateur Sébastien Bailly appartient à la nouvelle génération du cinéma français. Après plusieurs courts-métrages dont Villa Corpus (2005) et Douce (2011), son film Où je mets ma pudeur (2013), est en lice pour la prochaine cérémonie des Césars, qui aura lieu vendredi 20 février.
Le film raconte le cheminement identitaire d’une jeune femme d’origine maghrébine (jouée par Hafsia Herzi, remarquée notamment en 2007 dans La Graine et le mulet, d’Abdellatif Kechiche) déchirée entre sa religion et son environnement estudiantin. Lors de l’oral de son examen, cette étudiante en histoire de l’art, portant le hijab, se verra demander de retirer son voile. Pour elle, ce moment se transforme en double épreuve, celle de son dévoilement – qu ’elle vit comme un dénudement – s’ajoutant à l’exercice d’analyse d’une œuvre devant le jury. Se saisissant d’un sujet controversé – le port du voile à l’université –, le réalisateur ouvre des pistes de réflexion utiles au moment où l’on débat de la défense de la laïcité.
Comment vous est venue l’idée du scénario d’Où je mets ma pudeur ?
Mon film est avant tout une fiction. L’histoire n’est pas directement tirée d’un fait réel mais s’inspire d’un constat : le regard de notre société sur ces jeunes femmes voilées s’accompagne souvent d’un certain mépris, voire d’une violence qui témoigne d’une méconnaissance de l’autre. J’ai donc décidé d’aller à la rencontre de ces musulmanes portant le voile pour écouter ce qu’elles avaient à dire sur le sujet. J’ai pu constater différents cas de figure : certaines filles sont très croyantes, d’autres un peu moins et portent le voile plus par tradition ou par affirmation culturelle. Le personnage de mon film n’est pas un porte-étendard, mais sa situation et les problèmes qu’elle rencontre permettent de repenser la question de manière peut-être plus nuancée.
Votre film doit-il être vu comme une critique de l’interdiction du port du voile en public ?
Je ne suis ni pour ni contre le voile. Mon propos n’est pas là. Seulement, je constate qu’on mélange aujourd’hui beaucoup de choses et je finis par penser que cette obsession du voile est le symptôme d’un malaise plus profond de la société. Plus que la question du voile et de la laïcité, mon film cherche à renouer avec le sujet de l’intime et de la pudeur, thèmes qui ne sont plus au goût du jour, car nous sommes dans une société de la transparence, de l’apparaître. Mon film pointe aussi la porosité de plus en plus grande des frontières entre vie privée et vie publique. Il s’inscrit dans une trilogie – avec deux autres films, Douce et Une Histoire de France (en préparation) –, qui présente trois portraits de jeunes femmes d’aujourd’hui confrontées au regard de notre société.
De Degas à Ingres, la peinture est une composante essentielle de votre film. En quoi l’histoire de l’art peut-elle venir étoffer votre propos ?
Je cherchais à trouver une façon de parler du sujet sans tomber dans une confrontation verbale où l’étudiante argumenterait son choix devant une tierce personne. J’avais envie que le spectateur le comprenne d’une autre façon. Le tableau d’Ingres, La Grande Odalisque, que la jeune femme analyse à la fin du film, fait écho à ses propres dilemmes. Dite orientaliste, cette œuvre représente un nu féminin sur lequel sont projetés les fantasmes d’un regard occidental. Cette peinture est troublante car la figure tourne le dos au spectateur tout en le regardant droit dans les yeux. De même, tout en se mettant à nu, elle cache ses cheveux dans un turban. Entre érotisme et pudeur, l’odalisque joue ainsi sur l’opposition montré/caché. Mon idée est de montrer que derrière chaque apparence se cache quelque chose d’autre, encore faut-il avoir envie de le découvrir.
Célia Zuber
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