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Le Koweït en médiateur dans la « guerre froide » entre le Qatar et l’Arabie saoudite

L’émir Al-Sabah veut proposer sa médiation au sommet de la Ligue arabe, mardi et mercredi à Koweït.

Par  (Beyrouth, correspondant)

Publié le 24 mars 2014 à 13h07, modifié le 25 mars 2014 à 15h56

Temps de Lecture 4 min.

L’émir du Koweït, Sabah Al-Ahmed Al-Sabah, en décembre 2012 lors d'une réunion du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à Barheïn.

L’émir du Koweït, Sabah Al-Ahmed Al-Sabah, fera-t-il honneur à son surnom de « cheikh des diplomates » ? C’est sur les épaules de ce monarque octogénaire, qui fut ministre des affaires étrangères de son pays pendant quatre décennies, que repose l’espoir d’une résolution de la crise opposant depuis trois semaines l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis au Qatar. A l’occasion du sommet de la Ligue arabe, prévu à Koweït les 25 et 26 mars, le monarque espère négocier une désescalade dans cette « guerre froide » qui ébranle le Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’organe de coordination des monarchies de la péninsule Arabique. « Ce ne sera pas simple, car Doha et Riyad campent pour l’instant sur leurs positions, dit Rola Dashti, une ancienne ministre, très proche du palais. Mais en matière de médiation, l’émir a de nombreux succès à son actif. »

Exaspérés par le soutien que le Qatar accorde aux Frères musulmans, notamment par le biais de la chaîne de télévision Al-Jazira, le bras armé de sa diplomatie, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Bahreïn ont retiré leurs ambassadeurs de Doha au début du mois. Les deux premiers pays menacent leur voisin de sanctions supplémentaires s’il continue à appuyer la confrérie, qu’ils ont désormais classée comme « organisation terroriste ».

Selon la presse koweïtienne, « le deuxième niveau » des représailles consisterait en un « boycottage » économique et diplomatique de Doha, avec, entre autres mesures, la fermeture de l’espace aérien de l’Arabie saoudite, des Emirats et du Bahreïn, aux vols de la Qatar Airways, fleuron de l’économie qatarie. « Les Koweïtiens sont très inquiets, confie un diplomate familier de ce dossier. Le comportement du Qatar à l’égard de l’Arabie saoudite leur rappelle leur propre attitude face à l’Irak, avant l’attaque des troupes de Saddam Hussein en 1990. Dans leur esprit, cette crise ne peut que mal se terminer. »

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Dans les années 1970 et 1980, fort de sa puissance pétrolière et d’un système politique semi-libéral, le Koweït était la plaque tournante du Golfe, l’avant-garde d’une région en plein boom économique. L’émirat déployait une diplomatie ambitieuse, ne s’interdisant de nouer des relations avec aucun pays, y compris ceux du bloc soviétique, pourtant honnis par ses voisins du Golfe. « L’invasion de 1990 a été un traumatisme dont ils ont tiré une leçon, poursuit la source diplomatique. Un pays richissime, mais minuscule comme le leur, entouré de géants comme l’Irak, l’Iran et l’Arabie saoudite, est un pays fragile, qui ne doit pas s’exposer sur la scène internationale. »

Depuis, le Koweït fait profil bas. Au sein du CCG, il campe sur une position médiane, entre, d’un côté, l’Arabie saoudite, son allié émirati et son satellite bahreïni, et, de l’autre côté, le Qatar et Oman, rétifs à tout alignement sur Riyad. Une stratégie qui permet au cheikh Al-Sabah de proposer ses bons offices dans toutes les disputes de la région, comme le contentieux territorial entre Bahreïn et le Qatar à la fin des années 1990 ou l’affaire d’espionnage entre les Emirats et Oman, en 2011. Sans oublier son grand œuvre, le rapprochement entre le roi Abdallah d’Arabie et le président syrien, Bachar Al-Assad, en 2009. « L’émir est un homme très respecté, il sait parler aux Qataris et il a l’oreille du roi Abdallah, qui est de sa génération », décrypte un diplomate en poste à Koweït.

De toutes les crises dans lesquelles le vieux sage koweïtien est intervenu, celle entre Riyad et Doha paraît la plus aiguë. Les harangues télévisées du cheikh Youssef Al-Qaradawi, l’éminence grise des Frères musulmans, en exil au Qatar, sont perçues par l’Arabie et les Emirats comme une atteinte intolérable à leur stabilité. De crainte d’être gagnés par les mouvements de révolte qui ont renversé plusieurs de leurs pairs, les dirigeants saoudiens et émiratis pourchassent sans relâche les associations dans l’orbite des Ikhwan (Frères).

LE TOUPET DE TAMIM

A ces calculs s’ajoutent des considérations de politique étrangère. L’activisme diplomatique de Doha, son rejet du coup d’Etat militaire en Egypte, son interférence dans les affaires de l’opposition syrienne et son insistance à conserver des relations amiables avec l’Iran sont vus par Riyad comme une remise en question de son leadership régional. A l’instar d’Oman, le Qatar ne goûte guère le projet visant à transformer le CCG en une véritable union politique, redoutant qu’il ne scelle l’hégémonie saoudienne et qu’il ne débouche sur une confrontation avec Téhéran. « Deux approches stratégiques sont en compétition, analyse le politologue Abdallah Al-Shayji. Le risque d’escalade est réel, d’autant que les Etats-Unis se rapprochent de l’Iran, ce qui panique les Saoudiens. »

Comme beaucoup d’observateurs dans le Golfe, les Koweïtiens s’attendaient à ce que le nouvel émir qatari, Tamim Al-Thani, arrivé au pouvoir en juin 2013, adopte un positionnement moins franc-tireur que son père, Hamad. Erreur d’appréciation. « Les Qataris ont toujours peur des Saoudiens et leur manière à eux de se protéger, c’est de faire beaucoup de bruit », décrypte Ghanem Al-Najjar, professeur de sciences politiques à l’université du Koweït.

Dans l’entourage de l’émir Al-Sabah, on interprète cette constance, à tort ou à raison, comme le signe que Hamad Al-Thani et son âme damnée, l’ancien premier ministre Hamad Ben Jassem, continuent à tirer les ficelles en coulisses. « Tamim ne décide pas, c’est ce qui rend l’affaire si délicate à résoudre », soutient Rola Dashti.

Dernière différence, et non la moindre, entre le roi Abdallah et son challenger qatari : leur âge. 89 ans pour le premier, 33 ans pour le second. Outre la différence de mentalité qu’il suppose, cet écart pourrait expliquer en partie le toupet de Tamim, certain d’avoir l’avenir pour lui, alors que la vieille génération, en Arabie, s’apprête à s’effacer.

Dans ce contexte, nul ne s’attend à ce que l’émir Al-Sabah parvienne à un résultat dès le sommet de Koweït. Attendu en Arabie saoudite les 28 et 29 mars, le président américain, Barack Obama, sera inévitablement testé sur cette crise, qui met aux prises deux de ses alliés.

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