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Pour une séparation du football et de l'Etat

Il faut bannir drapeaux, hymnes et équipes « nationales«  des enceintes sportives pour éviter l'irréparable, c'est-à-dire racisme, violence et haine, écrit Charles de Laubier, journaliste.

Publié le 12 juin 2014 à 12h07, modifié le 12 juin 2014 à 12h07 Temps de Lecture 6 min.

Des joueurs de l'équipe de France de football entonnent

L'équipe de France de football a un siècle cette année. Elle fut créée en mai 1904, en même temps que la Fédération internationale de football association, la FIFA, et se distingue cette année-là par un match nul « contre la Belgique ». Et voici que, cent ans après, la coupe du monde tient sa 20ème édition au Brésil.

L'investissement y est colossal : 2 milliards de dollars. Plus de 3 millions de billets ont été vendus ! C'est sans précédent. Et à travers les médias et Internet, ce sont plusieurs milliards de télé ou netspectateurs qui suivront les rencontres de São Paulo à Rio de Janiero. Mais ce 20ème anniversaire prend une tournure toute particulière car la FIFA a promis que, dorénavant, « les incidents à caractère raciste » n'auront pas leur place dans les terrains de football.

« La coupe du monde, qui sera vue dans le monde entier, est la plateforme idéale pour indiquer le rejet clair de toute forme de discrimination. Le football, en sa qualité de sport le plus populaire au monde, est un outil puissant permettant de propager le message que le racisme n'a pas sa place dans notre sport et dans la société en général », a lancé le président de la FIFA, qui espère que sa campagne « Dites Non au Racisme » sur les médias sociaux – invitant les gens du monde entier à s'unir contre le racisme et à poster des messages avec le mot-dièse #saynotoracism – produira ses effets. C'est que le football est atteint depuis longtemps d'un mal profond. « De récents incidents à caractère raciste ont souligné le besoin d'actions concrètes permettant de combattre ce fléau sur les terrains de football », s'est inquiété le monde du ballon qui ne tourne plus rond.

Avant le match d'ouverture à Brasilia, un joueur de la Seleçao (l'équipe nationale brésilienne) aura lu un message anti-racisme du Pape François pour tenter de calmer les esprits. Tous les moyens sont bons pour éviter le pire. Fin avril, la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, avait salué le « geste audacieux » du défenseur brésilien du FC Barcelone, Dani Alves, qui avait mangé une banane envoyée à son attention lors d'un match du Championnat d'Espagne. Fin mars, c'est Tinga, le joueur brésilien noir qui fut victime d'une attaque raciste au sortir d'un match au Pérou. La Coupe du Monde risque d'être pleine. Et l'on se souvient, fin décembre 2013, de la « quenelle » (salut nazi inversé) du footballeur français Nicolas Anelka, accusé de racisme et d'antisémitisme.

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La France, où le football est le premier sport national, voire une religion comme au Brésil, n'échappe donc pas à ces dérive. Partout dans le monde, le racisme, la xénophobie, l'anti-sémitisme ou le nationalisme tentent d'arbitrer les rencontres. Or il est temps que la République française, elle, songe à la séparation des sports et de l'Etat – comme elle a pu le faire il y a plus d'un siècle avec la séparation des églises et de l'Etat. Les sports, comme les religions, n'ont en effet plus à être des « affaires d'Etat ». La laïcité face aux religions devrait inspirer la France dans son rapport aux différents sports, lesquels ne devraient pas se réclamer de la nation pour prospérer. Ces relations qu'entretiennent avec les pouvoirs publics certaines disciplines sportives, au premier rang desquels le football, sont pour le moins ambiguës, pour ne pas dire incestueuses.

Sur le terrain, en effet, il ne se passe pas un match sans que le drapeau français, l'hymne national ou encore le président de la République lui-même ne soient appelés en renfort et ne deviennent les faire-valoir d'un rituel à la gloire de la patrie que l'équipe nationale est censée ou prétend représenter. Cette équipe de France – surnommée « les Bleus » ou « les Tricolores » – est littéralement le porte-drapeau national. L'Etat lui-même contribue allègrement à cette sublimation sportive qui vise à faire vibrer à souhait la fibre patriotique et identitaire des joueurs et supporteurs. Les joueurs de l'équipe de France sont ainsi considérés comme des « ambassadeurs de France ». Et depuis leur consécration en 1998, après avoir remporté la Coupe du Monde de football, le patriotisme sportif est à son comble.

Le maillot est bleu, le short est blanc et les chaussettes sont rouges, le tout avec le fameux coq gaulois – le sacro-saint emblème de la nation française – qui orne les maillots des footballeurs de cette équipe de France. Dans le rugby, le XV de France n'échappe pas à cette règle patriotique. C'est en 1935, à l'occasion d'un match France-Allemagne, que l'hymne national – « La Marseillaise » – fait pour la première fois son entrée dans un stade, pour faire la réplique aux supporteurs allemands chantant, eux, « Deutschland über alles ». Aujourd'hui, le chauvinisme continue de jouer les arrêts de jeu. « Je dis (…) que les joueurs doivent chanter la Marseillaise », avait lancé une députée française il y a trois ans. Et si l'hymne est sifflé, la tension monte et le patriotisme laisse place à la haine de l'autre, de l'étranger, de l'équipe du pays d'en face. En 2002, au Stade de France, un autre président de la République avait quitté sur le champ la tribune dite « présidentielle » pour protester contre des sifflements pendant qu'était entonnée La Marseillaise. « Il faut interdire les matchs quand les hymnes nationaux sont sifflés », avait même lancé en 2008 le premier ministre de l'époque…

La soi-disant « identité nationale » prend le pas sur l'épreuve sportif. « Je ne me reconnais pas particulièrement dans cette équipe [de France de football] », avait déclaré en 2010 celle qui est aujourd'hui à la tête du Front national. Encore beaucoup n'admettent toujours pas la capacité du sport à intégrer des joueurs d'origine étrangère. Alors que les transferts internationaux de joueurs de « foot », entraînés par la mondialisation dans un vaste mercato, défient depuis longtemps les frontières sportives. Et avec succès, en terme de diversité. Lorsque les rencontres sportives sont le théâtre de la xénophobie et de l'antisémitisme, comme en 1936 avec la « supériorité de la race aryenne » qui fut chère à Adolf Hitler, lors des Jeux olympiques créés par un Pierre de Coubertin très patriotique et nationaliste, c'est tout l'honneur des sportifs qui est pris en otage. Le football devenu multipolaire est mûr pour se débarrasser de ses oripeaux nationalistes entachés de certains relents.
Il est temps de couper le cordon ombilical entre l'équipe « Black-Blanc-Beur » sans frontières et l'Etat pour ne plus prêter le flan au feu « patriotique ». Dans les stades, le cocktail devient explosif : violences, hooliganismes, racismes, xénophobies, fascismes, meurtres, … Ces matchs entre équipes nationales, précédés parfois de séances de cris de guerre pour intimider « l'adversaire », attisent les haines aussi bien dans les tribunes qu'à l'extérieur où les « combats » (fights) se poursuivent encore plus violemment entre bandes « rivales ». Il y a vingt-cinq ans exactement, le drame du Heysel en Belgique a été l'effroyable illustration qu'une finale de la coupe d'Europe entre « champions » nationaux peut provoquer la mort de 39 personnes et en blesser 600 autres ! Depuis, les décès continuent d'endeuiller certains rendez-vous du ballon qui ne tourne vraiment plus rond.

Il faut donc bannir drapeaux, hymnes et équipes « nationales » des enceintes sportives pour éviter l'irréparable et, partant, ne plus voir l'Etat se retrouver en porte-à-faux avec les intérêts économiques du « sport business » qui ne sont plus les siens. Quitte à remplacer les signes extérieurs de patrie – laquelle n'a pas vocation à jouer les arbitres ni les faire-valoir – pour s'en tenir aux dénominations des clubs et formations sportifs, ou bien aux noms des sponsors comme cela se pratique dans la voile, les courses automobiles et d'autres disciplines sportives.

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