vendredi 12 septembre 2014

Rentrer, faire des croix |5


Photos de Philippe Marc que je remercie chaleureusement


En réalité, ces grands échassiers roses ne paraissent pas de près ce qu’ils paraissent de loin. De loin on dirait une secte d’illuminants occupés à sonder les marais de leurs secrets ou à des pratiques plus occultes encore. D’autres, tels des moines d’une religion du silence à inventer, déambulent d’un pas aussi tranquille que mesuré. Ils semblent n’être là que pour apporter douceur rose à cette contrée sauvage. Pourtant, sauvages corps et âme, ils fuient nous autres les civilisés. Ils font mine de ne pas nous voir, mais s’éloignent insensiblement de nous - les intrus qui tentons de les approcher - avec leurs grands pas d’échassiers. Nous ne savons donc pas de près leur semblance. Seul l’œil de verre zoomant de l’arpenteur s’en approche.



En réalité, jamais leur faim n’est assouvie. Leur pitance est si minuscule et leur corps si grand ! Ils passent des heures le bec dans l’eau - bec ultra-perfectionné et performant filtrant l’eau de la vase un peu à la manière des fanions des baleines. La première fois qu’on les voit, on peut être déçu par la pâleur du rose layette. Surtout si l’on a vu dans les reportages animaliers l’autre espèce de flamants, beaucoup plus ruber que roseus des flamants de Cuba ou des Caraïbes. L’article Wikipédia est un poème mais il ne mentionne pas les flamants de Sauvargue.



En réalité, ils ont une vilaine voix, une voix d’oie qui nous raille, en surgissant d’on ne sait où sinon du ciel. Mais quand ils volent, flamme en ciel, flamme en rose vif  dans soleil couchant, la pourpre l’emporte sur le rose. Le blanc rosé du cou et du corps, les ailes et le bec noirs, le rouge vif parent leur magnifique déploiement. Excepté l’arpenteur et son gros œil de verre, on aperçoit rarement la bague aux doigts de leurs pattes. Ils restent fidèles le temps d’un accouplement et d’un Œuf unique que mâle et femelle couvent en alternance.



En réalité, tu ne vas pas me croire. L’arpenteur avait disparu avec la presque nuit. Les grands oiseaux sont passés en formation non loin de moi. Je m’étais allongée sur le sel. Quand je les ai vus inscrire des signes évoquant vaguement des K couchés, j’ai compris que je ne savais plus lire. Ni leur monde, ni le mien. Mais à choisir je préfèrerais vivre dans le leur. D’ailleurs j’adore les crevettes. Il a pourtant fallu rentrer.  









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