Disparition

Abdelwahab Meddeb, l’islam des lumières

L’écrivain tunisien qui bataillait contre le fondamentalisme est mort jeudi à 68 ans.
par Marc Semo
publié le 6 novembre 2014 à 19h46

Il se revendiquait volontier soufi, ce courant mystique de l'islam qui chante l'amour de l'Unique et de Sa création. «Pour les islamistes, les soufis sont encore pire que les chrétiens car si pour ces derniers Dieu s'est incarné une fois, pour les soufis, il s'incarne en chaque être humain», expliquait Abdelwahab Meddeb, essayiste, romancier, traducteur et poète qui aimait à citer aussi bien Ibn Arabî, le poète du XIIIe siècle («Que ton cœur soit le temple qui accueille les croyances toutes»), que Rûmi, le poète et derviche du plateau anatolien d'origine perse avec son célèbre poème : «Viens à moi qui que tu sois musulman, juif, chrétien ou apostat.»

Dans l'une de ses dernières tribunes, publiée cette fois-là dans le Monde début septembre, l'écrivain clamait son indignation face aux égorgements d'otages par l'Etat islamique : «Comment laisser ces barbares fiers de leur crime, les laisser souiller le mot islam et agir en notre nom ?» Et il appelait encore une fois à revenir au soufisme «qui impose au sujet la complexité et l'affranchit pour une parole plus libre qui fait trembler le dogme». Son dernier livre s'intitulait Portrait du poète en soufi (aux éditions Belin).

Violence. Mort jeudi d'un cancer, cet intellectuel, né à Tunis en 1946 et qui animait depuis 1997 l'émission Culture d'islam sur France Culture, n'hésitait pas à être à contre-courant ni à assumer son choix courageux d'un islam des lumières. «La question de la violence de l'islam est une vraie question. Les musulmans doivent admettre que c'est un fait, dans le texte comme dans l'histoire telle qu'ils la représentent eux-mêmes, en un mode qui appartient plus à l'hagiographie qu'à la chronique. Nous avons à faire à un Prophète qui a été violent, qui a tué et qui a appelé à tuer», déclarait-il à Libération en septembre 2006 alors que les propos du pape Benoît XVI sur l'islam et la violence déchaînaient les polémiques. Et s'il rappelait que le Coran spécifie dans la deuxième sourate «point de contrainte en religion», il rappelait que d'autres versets commandent de combattre tous ceux qui ne croient pas «à la religion vraie».

Ses principaux essais comme la Maladie de l'islam (Seuil) ou les Contre-prêches (Seuil) martèlent cette idée. Sa grande bataille était avant tout contre le fondamentalisme, contre cette interprétation maximaliste de l'islam selon laquelle «le Coran c'est la parole même de Dieu dans sa lettre». Et que le livre serait donc «incréé». « Un immense débat a eu lieu pendant les quatre premiers siècles de l'islam pour décider si c'est un Coran crée ou incréé, et opter de nouveau pour la thèse du Coran crée appartient au combat démocratique», rappelait cet esprit libre pour qui, si ce livre est «une parole révélée», celle-ci a été interprétée dans un langage humain. Il y a eu en outre le passage du calligraphe, l'encre, le papier. Tout cela oblige à tenir compte de la médiation humaine. D'où sa volonté constante de questionner le texte et d'insister sur toutes les diverses interprétations.

Abdelwahab Meddeb aimait aussi à rappeler la personnalité du dernier calife déposé en 1924 par Mustapha Kemal. Il avait laissé sur sa table de chevet en quittant Istanbul le livre qu'il lisait : les Essais de Montaigne.

Abdelwahab Meddeb avait été à bonne école. Son grand père, le cheikh Moktar Meddeb, était professeur de lectures coraniques à l'antique université de la Zitouna. Son père, le cheikh Mustapha, était quant à lui un expert en principes du droit coranique. Cet enracinement dans la tradition ne l'a pas empêché après des études d'histoire de l'art et de lettres à la Sorbonne de s'installer à Paris en 1967. Tout au long de son œuvre, il a célébré ce qu'il appelait «sa double généalogie», européenne et islamique, française et arabe.

Laïcité. Toujours il resta lié à la Tunisie et s'enthousiasme pour la révolution du jasmin de décembre 2011 qui renversa Ben Ali. Certains l'accusèrent alors d'avoir eu des complaisances pour l'ancien régime balayé par la rue. Ces accusations ne tiennent guère. Abdelwahab Meddeb n'en resta pas moins jusqu'au bout un esprit libre conscient des enjeux mais aussi des difficultés de la transition démocratique. «Nous n'avons pas encore notre Lech Walesa ou notre Vaclav Havel», expliquait-il alors dans une interview à Libération en rappelant une vérité fondamentale : «J'étais un intégriste laïc et j'ai évolué. On ne peut imposer d'en haut par la force la laïcité et la démocratie. La liberté est un droit naturel.»

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