Selon l'ex-dirigeant de Pôle emploi, Hervé Chapron, les conseillers de Pôle emploi suivent chacun 30 à 140 demandeurs d'emploi. L'objectif était qu'ils en suivent 60 maximum.

Selon l'ex-dirigeant de Pôle emploi, Hervé Chapron, les conseillers de Pôle emploi suivent chacun 30 à 140 demandeurs d'emploi. L'objectif était qu'ils en suivent 60 maximum.

L'Express

L'opération Pôle emploi devait faire des miracles, elle est un "fiasco". Le chômage explose, les budgets crèvent les plafonds, les déficits sont abyssaux, les effectifs grimpent... Pour Hervé Chapron*, la fusion ANPE-Assedic autour du guichet unique qui devait créer des synergies et réaliser des économies d'échelle n'a tenu aucune de ses promesses. L'ex-DGA de Pôle emploi, chargé de l'audit de l'organisme, de sa création en 2008 à mi-2012, affirme avoir formulé des propositions pour redresser la barre. Mais aucune n'aurait été retenue. Son constat est sans appel: "si on ne fait rien, Pôle emploi va couler".

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Qu'est-ce qui ne marche pas à Pôle emploi?

Le suivi des chômeurs à cause de l'impréparation des collaborateurs lors de la fusion. Il ont été et sont encore déboussolés. Ceux issus des Assedic n'ont eu que sept jours pour se former à l'accompagnement des chômeurs et à la prospection des offres des entreprises, ceux issus de l'ANPE n'ont bénéficié que de quatre jours pour se familiariser avec les mécanismes de l'indemnisation. En outre, la taille des portefeuilles [NDLR, nombre de demandeurs d'emploi par conseiller] s'est agrandie. Chaque agent suivait 90 chômeurs avant la fusion. L'objectif était de 40 à 60 avec la fusion. Ce fût de 130 à 140 durant les quatre ans qui ont suivi. Jean Bassères, le directeur général actuel, a segmenté le public en trois catégories pour alléger cette charge selon l'importance des besoins des personnes sans emploi, ce qui est une bonne chose. Il envisage aujourd'hui de créer une catégorie n°4 pour les chômeurs confrontés à de véritables difficultés sociales, ce qui serait une réponse pour eux et remobiliserait les autres conseillers sur leurs missions.

Comment justement les conseillers vivent-ils leur mission?

Ils ne sont pas omniscients. Comment voulez-vous, par exemple, qu'ils orientent au mieux les chômeurs sur des formations adaptées dans tous métiers dans tous les secteurs ? Il y a un préjugé dans ce pays, l'accompagnement serait un métier spécifique. Eh bien non, parce que chaque chômeur est un cas unique. Aujourd'hui, 40% de l'activité consiste à renseigner les gens sur combien ils vont toucher, comment se sortir de leur situation personnelle... On nage en plein dans l'administratif et le social alors qu'il faut privilégier les liens avec l'entreprise, connaître le marché, démarcher les recruteurs, anticiper sur les métiers dans les trois ans. Ce problème de l'offre est crucial et Pôle emploi reste passif.

Faudrait-il développer la sous-traitance aux opérateurs privés?

Je le pense. Pour moi, ça ne coûte pas plus cher et c'est plus efficace. D'ailleurs, au Royaume-Uni, c'est systématique. Chez nous on saupoudre les moyens. On ne compte que 190 000 demandeurs d'emploi suivis dans "l'accompagnement renforcé" - les plus éloignés de l'emploi de la catégorie 1 - en juillet 2014. C'est un pourboire ! Il faudrait doubler, tripler ce chiffre. Il faut aller au bout du raisonnement sur la sous-traitance. Pour ma part, je recommande d'envoyer les plus fragiles auprès de opérateurs privés.

Y a-t-il eu, selon vous, une volonté de sabotage de la part de l'Etat?

Je n'emploierai pas ce terme. Mais je suis convaincu que Nicolas Sarkozy avait dans le collimateur les partenaires sociaux. En créant Pôle emploi, il les a affaiblis. Au final, l'Etat s'est désengagé du financement du service public de l'emploi puisqu'il ne contribue que pour le tiers à son budget tout y en faisant la loi ce qui n'était pas possible avec les Assedic, organismes paritaires.

Que pensez-vous des récentes prises de position des ministres?

S'il s'agit du contrôle des chômeurs préconisé par le ministre du travail François Rebsamen, c'est une idée que je n'approuve pas. Il n'y a pas plus de fraude à l'assurance chômage qu'ailleurs. Quant aux propos de Manuel Valls, sur le fond, il prépare les esprits à des changements radicaux quant à la durée et à la dégressivité des indemnités. Des sujets qui seront sur le tapis lors de la renégociation de l'assurance chômage en 2016.

Et vous, que feriez-vous pour relancer l'emploi?

L'an prochain, il y aura sans doute 130 000 chômeurs de plus et le déficit de l'assurance chômage atteindra les 24 milliards d'euros. Pôle emploi doit gagner en réactivité. Le pays n'a pas besoin d'un éléphant mais d'une gazelle! Je dégraisserais le siège qui compte 1200 salariés et redéployerais le surplus des effectifs en agences. La réforme territoriale est l'opportunité idéale pour repenser le système. J'en profiterais pour créer des instances régionales de pilotage en y remettant du paritarisme et en y incluant des élus, les conseillers régionaux, qui auront 100% des compétences sur la formation professionnelle si la loi passe. Il faut que tout ça aille dans le même sens et que ça colle au terrain. Enfin, les règle de "l'offre raisonnable d'emploi" devront être explicitées afin de lever toute suspicion sur les chômeurs.

*Auteur de Pôle emploi, autopsie d'un naufrage, avec Patrick Lelong, Les Editions de l'Opportun, octobre 2014

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