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A propos des grèves à Genève
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A propos des grèves à Genève.

 

 Novembre 2015.

 

Les grèves qui ont lieu à Genève concernent toute la Suisse. Genève par ses particularités – dette colossale, gestion abominable de ses conditions-cadres [ouverture illimitée à l’afflux migratoire en provenance de l’UE sans aucune volonté de prévoir les désajustements structurels qui allaient s’ensuivre, rien n’a par exemple été fait pour protéger les conditions du logement] – est l’endroit où les tensions vont surgir et se manifester en premier. Les autres cantons doivent voir dans ces grèves le début de signes avant-coureurs, en médecine l’on dirait les prodromes de quelque chose qui commence.

J’ai lu et écouté avec attention ce qui s’est dit ou écrit à droite et à gauche. Et alors une singularité éclate dans toute sa splendeur, autant à droite qu’à gauche personne ne semblait capable de définir et poser le problème avec précision et plus loin que des phrases économiques toutes faites arrêtées sur les seules contraintes budgétaires locales [hausse des impôts vs baisse des prestations]. Ceci explique le discours stérile qui en ressort, et l’absence de formulation concrète par incapacité de dépasser le budgétaire local pour appréhender le macro-économique global.

En résumé on a entendu la droite dire : mais pourquoi les fonctionnaires font-ils la grève, ils ont les salaires et les retraites les plus élevés de Suisse ? Pour entendre une gauche répondre : oui mais pas tous les fonctionnaires, dans une contre argumentation assez nébuleuse dont on ne voyait guère ce qui pouvait en ressortir et sur quels éléments les uns et les autres pourraient discuter et trouver à s’entendre une fois cela posé.

Parler du montant des salaires dans le contexte genevois n’a en réalité guère de signification. Ce qui compte c’est le revenu disponible, ce qu’il reste dans la poche du salarié une fois qu’il a tout payé, une fois qu’il s’est acquitté de toutes ses obligations. Il n’est de ce point de vue pas compréhensible que le terme de revenu disponible ne soit pas encore passé dans le vocabulaire courant, c’est tout de même une notion relativement simple. Chacun comprend qu’il vaut mieux avoir un salaire de 5'000 avec 2'000 de charges obligatoires [reste 3’000] qu’un salaire de 7'000 avec 5'000 de charges obligatoires [reste 2000]. Ce qui reste une fois tout payé est supérieur ici pour le petit salaire qui est le gagnant. Faudra-t-il encore vingt ans à certains Suisses pour le comprendre ?

A Genève les loyers, les primes d’assurances maladies, les frais de transports, les émoluments administratifs, maintenant les amendes - la liste est sans fin - sont devenus si onéreux au cours du temps qu’une grande partie de la population n’arrive tout simplement plus à les payer, et c’est à elle que l’on demande maintenant de faire plus de sacrifices.

Cela ne va pas.

 

Un deuxième élément concernant la « vérité  des salaires » si l’on veut absolument parler de salaire, c’est le coût que doit fournir le salarié pour l’obtenir, le coût humain en termes d’énergie et de temps personnel qu’il doit fournir pour obtenir son salaire.

Le temps que le salarié doit consacrer pour se rendre sur son lieu de travail ne lui est pas rémunéré, pourtant il s’agit aussi pour lui d’un coût qu’il doit nécessairement dépenser pour obtenir son salaire. Dans le calcul de l’offre de travail, le temps que le salarié doit utiliser pour se rendre à son lieu de travail est considéré comme un coût fixe à sa charge, et bien évidemment le coût en énergie et en temps global que le salarié doit dépenser pour obtenir un salaire est considérablement différent selon qu’il lui faut 10 minutes ou 2 heures pour se rendre à son travail.

Cela n’a l’air de rien mais des essais ont montré que l’accroissement des temps de transports, éloignement croissant des lieux de logements, temps perdu dans les transports, bouchons, etc., pouvait équivaloir en Suisse ces dernières années à une perte équivalente à au moins 10 % du salaire. L’employé doit aujourd’hui consacrer beaucoup plus de temps pour se rendre à son travail, le coût fixe mis à sa charge a augmenté voir pour certains explosé. Pour un même salaire le temps global qu’il doit y consacrer a explosé et son temps libre par suite diminué.

Les temps de transports, la distance travail logement n’a cessé de s’agrandir pour les Genevois, cela n’a l’air de rien, mais en termes de coût c’est pour eux une réalité, c’est une dégradation de leurs conditions cadres et de leur qualité de vie, qui si elle ne se mesure pas en monnaies sonnantes et trébuchantes représente néanmoins une baisse objective de leur salaire si on le mesure au temps qu’ils doivent y consacrer.

 

Un autre élément se trouve dans la dégradation des conditions de travail elles-mêmes ou si l’on veut dans l’accroissement de la productivité qui a été imposée. La petite histoire qui suit l’illustre à merveille. Je me suis trouvé il y a peu dans une salle d’attente d’une administration genevoise, où une porte mal fermée m’a inopinément laissé entendre la conversation suivante. Deux personnes, fonctionnaires, probablement dans un rapport hiérarchique se disputaient sur la qualité du dossier rendu par la subalterne. La supérieure disait que le dossier n’était pas assez précis et trop long. Et l’argument final utilisé vaut alors ici valeur d’explication. La supérieure disait qu’au-dessus dans la hiérarchie, les personnes en charge de prendre les décisions n’avaient que « 10 minutes » par dossier pour trancher et se décider. Il fallait que cela puisse aller vite. L’image parle d’elle-même. Quantité versus qualité, la quantité ne cesse d’augmenter pour une qualité qui baisse. C’est cela que beaucoup de personnes ne supportent plus.

[C’est exactement le résultat qu’induisent les désajustements structurels].

 

Genève s’agrandit à la vitesse grand V, les besoins de même, mais les structures n’ont pas suivi, et cela s’est traduit par un accroissement des exigences de rendement sur nombre de salariés. Gagner 5'000 francs par mois avec un emploi à dix minutes de chez soi, un coût du loyer modéré, un nombre de dossier raisonnables à traiter chaque jour n’a rien à voir avec ce même salaire pour un travail à deux heures de chez soi, un loyer exorbitant, des dossiers qui ne cesse de s’empiler sur son bureau et une pression croissante sur le rendement, dans une atmosphère qu’il ne vaut même plus la peine de décrire. Ce n’est plus le même monde, plus les mêmes conditions de travail, plus la même qualité de vie.

 

Dire, comme le dit la droite économique, je ne comprends pas les fonctionnaires, leurs salaires sont les plus élevés de Suisses pourquoi font-ils la grève ? est une simplification qui n’a ici plus aucune  valeur politique ou économique.

 

Le reproche que l’on pourrait faire aux fonctionnaires genevois, mais aussi à ceux des autres cantons qui vont bientôt les suivre, c’est qu’ils avaient été prévenus.

Car c’est précisément ce que certains avaient tenté de leur expliquer, de leur montrer ce qui allait se passer, mais qu’ils n’ont pas voulu écouter, traitant d’affreux nationalistes tous ceux qui osaient les mettre en garde contre la libre-circulation.

Pourtant il était clair dès le début que la libre-circulation des personnes allait entraîner pour eux aussi une dégradation de leurs conditions de vie. Que cette croissance non maîtrisée se retournerait aussi contre eux à un moment donné lorsque des temps plus difficiles surviendraient. Tout était annoncé et expliqué. Ces temps difficiles annoncés ont maintenant commencé.

 

Dès le départ la libre-circulation des personnes a été pensée et conçue comme une dérégulation à la fois du marché du travail et du marché immobilier, avec les baisses de salaires et de conditions de travail, des hausses de loyer et de temps de transport qui allaient logiquement s’en suivre. Soit une dégradation générale de leurs conditions de vie. La libre-circulation des personnes a été introduite en Suisse avec pour objectif d'accroître le rendement et la productivité des travailleurs. Ces fonctionnaires n’ont même pas cherché à comprendre.

 

Le plus singulier c’est que les personnes qui manifestent aujourd’hui dans la rue sont les mêmes que celles qui défendaient l’introduction des mesures qui ont péjoré leurs conditions de vie (à savoir la libre circulation des personnes) et ce sont les mêmes qui descendront dans la rue prochainement pour demander de les garder, en s’opposant à la votation du 9 février.

 

Quand je regarde tout cela il y a des jours où dans le fond je me demande si je ne ferais pas mieux de devenir néo-libéral. Tirer vite fait du fric tant que je peux. Si ces milliers de personnes qui descendent dans la rue ne sont pas capables d’au moins chercher à comprendre plus loin, alors sans doute faut-il croire que la messe est dite. Je ferais mieux d’en tirer mon parti.

 

Michel Piccand

 

Tout ce qui arrive a été annoncé, dégradations des conditions de vie et de travail, dégradation des conditions générales, accroissement des tensions sociales, atteintes au Contrat social.

Tout est expliqué dans ce livre ici :

https://lc.cx/Zt3P

 

 

P.S. On peut poser le même constat à propos du discours politique sur le problème des retraites en Suisse. Il faut les financer dit-on. Oui, mais personne ne dit que si l’on prend une rente minimale AVS et un loyer d’entrée pour un simple studio à Genève, près de la moitié de la rente vieillesse va servir uniquement à payer le loyer et donc uniquement à financer la rente immobilière que l’on a laissé s’accroître sans aucun frein.

Ce qui sort d’une poche rentre immédiatement dans l’autre, le retraité ne fait que voir l’argent passer. Et l’on peut alors se demander si les prestations complémentaires servent à financer la vie des plus âgés ou la rente immobilière des possédants immobiliers ou de ceux qui se sont enrichis dans la spéculation. Le retraité dans bien des cas n’est plus ici qu’un agent payeur.

En 2010 le prix d’une maison moyenne en Allemagne coûtait à un employé allemand dans l’industrie et les services l’équivalent de 5 années de son salaire brut moyen, cette maison moyenne coûtait à un Suisse l’équivalent de plus de 9 années de son salaire équivalent (voir 15 ans si on le calcule en parité de pouvoir d’achat) soit entre deux et trois fois plus. La situation était encore pire à Genève puisqu’en 2010 un résident de cette fameuse capitale mondiale des droits humains, devait débourser l’équivalent de plus de 17 (!) années de son salaire moyen pour acquérir non pas la villa individuelle standard au prix moyen mais tout simplement la moins chère offerte au premier prix sur le marché.

 

Ces distorsions sont directement imputables à l’introduction en Suisse de la libre circulation des personnes.

 

LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE DE LA SUISSE, UN DRAME POLITIQUE CACHÉ. p.52.

La libre-circulation des personnes et le problème de la rente immobilière en Suisse.

 https://lc.cx/Zt3P

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