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La folie du père

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Une actualité de David V.
Publié le 24/08/2013

Gwenaëlle AubryLe bleu du Mercure nous aurait-il plus attiré que celui, profond, de Stock ?  Nous n'avions pas eu la curiosité (tort reconnu) de nous pencher sur les livres de Gwenaëlle Aubry, L'isolée et L'isolement, consacrés à l'univers carcéral. Le titre énigmatique de son prochain livre, Personne, nous a donné l'envie d'y aller voir et bien nous en a pris car s'il ne s'agit pas d'un roman et encore moins d'un document et c'est pourtant une oeuvre littéraire de très belle tenue. Ordonné selon un ordre alphabétique qui peut dérouter, elle se présente comme une succession apparemment désordonnée de souvenirs, de retours en arrière, d'explications, d'épanchements, d'interrogations autour de la figure du père, mort quelques temps plus tôt, et auquel ce puzzle va essayer de rendre justice d'une part en creusant dans la mémoire de celle qui fut sa fille et se console mal de cette perte qui a commencé bien avant la disparition physique, d'autre part, en découvrant des morceaux épars d'un texte, laissé par le père avec pour mission aux survivants de le "romancer". Epreuve douloureuse que celle d'affronter la maladie d'un homme qui aurait dû être un  secours pour ses enfants et qui est devenu un poids, un trou noir : maniaco-dépressif - on dit désormais bipolaire - François-Xavier Aubry était issu d'une famille de grands bourgeois médecins, lui-même devenu professeur de droit pour respecter les convenances qui dictent la vie de ces gens-là et les apparences qu'il faut à tout prix sauver sous peine d'être rayé de la galaxie familiale et se transformer en mouton noir (c'est le titre du texte posthume qu'il a laissé : "le mouton noir mélancolique"), et s'il a réussi à fonder une famille en épousant celle qu'il avait élue encore enfant c'était sans compter sur la tyrannie de ce mal qui s'acharne à vous laisser entrevoir des issues qui ne sont que des illusions. Personne et plusieurs, cet homme portait des masques qui lui dévoraient le visage avant de sombrer dans l'alcool qui anéantit ou la fuite qui éloigne des miroirs. Et c'est toute la difficulté et la réussite de l'entreprise de Gwenaëlle Aubry qui s'appuie sur son alphabet comme un alpiniste se tient à une corde qui lui évitera de décrocher : l'exploration qu'elle entreprend la touche de tellement près qu'en l'"alphabétisant", elle s'interdit l'effusion longue, le romanesque. Elle peut ainsi ouvrir des pages de réflexion où sa qualité de philosophe familière de l'Antiquité trouve dans les textes des Anciens un secours, un appui, le rappel d'une permanence de ce haut mal et lui permet d'éclairer ce drame intime qui fit d'elle une orpheline chronique, perdant un père exilé dans sa folie et les murs d'un hôpital psychiatrique pour le retrouver aimant et si proche, si inquiet du sort de ses deux filles. Riche de beaucoup de questions sur l'identité, Personne est un livre des masques en même temps qu'un blason magnifique : on y vibre du récit de cette angoisse d'avoir été en deuil d'un vivant pour porter ensuite le deuil d'un disparu. A rebours de tous ces témoignages dont on nous assomme et qui font fi de la difficulté à dire l'indicible, ce récit vient opportunément nous rappeler le pouvoir de la littérature qui n'a pas de frontières.

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