On estime à près de 450 les cas de morsures de chien chaque jour au Québec, selon un sondage Léger Marketing réalisé en 2010. Un chiffre que la Ville de Montréal est résolue à faire baisser grâce à une politique de tolérance zéro: les propriétaires d'un chien ayant mordu une personne ou un autre chien n'auront plus que 24 heures pour contester l'avis d'euthanasie automatiquement lancé dans de telles circonstances et trouver par leurs propres moyens un expert qui évaluera leur animal.

La gestion animalière étant de la juridiction des arrondissements, la Ville de Montréal leur proposera ainsi dans les prochaines semaines une harmonisation de la législation en la matière. «Depuis l'événement malheureux avec le Berger Blanc, on a pris un virage en matière de gestion animalière. On a travaillé avec des experts et les arrondissements pour proposer une juridiction basée sur les meilleures pratiques partout en Amérique du Nord. Le premier mandat de la Ville en gestion animalière est le contrôle. Si un chien constitue une nuisance, c'est la responsabilité de la Ville de protéger les citoyens contre cette nuisance», explique Martine Painchaud, attachée de presse à la Ville de Montréal.

La clause sur les animaux dangereux donnera donc 24 heures (au lieu de 48 heures actuellement) au propriétaire de l'animal, sans distinction de race, avant l'euthanasie si celui-ci «a porté atteinte à la sécurité d'une personne ou d'un animal». Il sera alors automatiquement déclaré animal dangereux par l'arrondissement. À partir de ce moment, la sentence sera l'euthanasie. «Si le propriétaire désire contester l'ordre d'euthanasie, il a 24 heures pour l'exprimer et s'engager à trouver un expert de son choix qui va ensuite échanger avec l'expert de la Ville», ajoute la porte-parole.

Expert

Il n'existe au moment d'écrire ces lignes aucune précision concernant le type d'expert employé par la Ville. Mme Painchaud n'a pas été en mesure de nous en dire plus à ce sujet.

L'avocate Elaine Rosenberg, qui a défendu en juillet dernier Wicca, pitbull femelle de 5 ans euthanasiée après avoir été accusée d'avoir mordu à deux reprises, déplore cette situation. «Je n'ai malheureusement pas réussi à sauver Wicca. Le règlement de la Ville ne donne que 48 heures d'avis avant l'euthanasie. J'étais en cour alors que le propriétaire de Wicca présentait la requête lui-même. Il a fait valoir ses droits, mais le juge était pris avec les critères stricts de la loi en vigueur», explique-t-elle.

Après avoir consulté le dossier de Wicca, l'avocate a tout de suite remarqué qu'aucun témoignage de la première victime n'était au dossier, mais que seule une photo montrant une égratignure à l'abdomen y figurait.

«Il était impossible de distinguer s'il s'agissait d'une morsure ou d'une griffure. Quand la dame s'est fait attaquer, elle a appelé son mari qui a ensuite appelé la police. Wicca était alors calme, assise à côté de son maître à l'arrivée de l'ambulancier. Quand celui-ci s'est approché, Wicca lui a senti les pieds et quand elle a monté sa tête, elle a frappé ses testicules. La Ville en arrive à la conclusion qu'elle l'a mordu. Or, dans la copie du rapport, l'ambulancier dit qu'il n'a subi aucune blessure», explique l'avocate de Wicca.

Selon Elaine Rosenberg, le propriétaire de Wicca n'a jamais eu la chance de se prononcer sur le fond de cette histoire, à savoir: le chien a-t-il vraiment mordu quelqu'un?

«La présomption d'innocence n'est pas respectée. Je pense même porter ça devant la cour constitutionnelle», conclut l'avocate.

À Calgary, Ottawa, Vancouver ou Toronto, les cas de chiens ayant mordu sont systématiquement portés devant un juge, une pratique que Alanna Devine, porte-parole de la SPCA, souhaite voir être mise sur pied à Montréal. La SPCA condamne d'ailleurs le projet d'harmonisation que va présenter la Ville de Montréal à l'automne.

«Avec ce projet de loi, si on se fait attaquer et que notre chien nous défend, il est susceptible d'être condamné à mort», précise Elaine Rosenberg.

Vers plus d'interdictions?

Les pitbulls sont actuellement interdits dans près d'une soixantaine d'arrondissements et municipalités au Québec. Néanmoins, la catégorisation du pitbull comme race «dangereuse» ne repose sur aucune étude sérieuse et indépendante, contrairement à celle menée en Grande-Bretagne, en 2003 (date postérieure à l'entrée en vigueur d'une loi interdisant les races dites «dangereuses»), qui a révélé que 24% des hospitalisations pour morsures ont été causées par des bergers allemands contre 9% par les races assujetties à cette loi (pitbulls, rottweilers et dobermans). Cette étude a également montré que les cockers, les jack russell terriers, les labradors et les collies sont les chiens qui mordent le plus fréquemment.

Les statistiques le prouvent donc: une grande variété de races de chiens est responsable des morsures enregistrées dans le monde. Interdire les chiens de type pitbull est-il donc vraiment une solution afin de faire baisser le nombre de cas de morsures ou de la simple discrimination raciale?

En 2008, le gouvernement néerlandais a abrogé l'interdiction des pitbulls, en vigueur depuis 15 ans, en raison de l'absence d'amélioration de la sécurité publique. En effet, le taux de morsures de chiens n'avait pas cessé d'augmenter en dépit de cette interdiction. En 2007, le Royaume-Uni a déclaré le Dangerous Dog Act caduc après avoir constaté que le nombre de morsures avait augmenté de 10% depuis sa mise en place. Une telle loi ne tient pas compte de la responsabilité du propriétaire quant au comportement de son chien. De fait, elle ne protégerait pas les citoyens des morsures infligées par les autres races. À ce titre, une étude menée à Calgary, en 2003, a montré que sur 272 plaintes déposées pour morsure, 17,3% étaient causées par des bergers allemands contre 5,1% par des pitbulls, rapporte Anima Québec.

Ainsi, après Vancouver et Halifax en 2005, les Pays-Bas en 2008, l'Italie en 2007, plus de 50 villes américaines, dont New York, ont elles aussi levé leur interdiction visant les pitbulls.

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Une mâchoire qui se verrouille?

Le pitbull ne lâche jamais prise et est doté d'une mâchoire ayant un mécanisme de verrouillage? Faux, même s'il a de puissants muscles maxillaires et beaucoup de détermination, selon le Dr Howard Evans, professeur émérite au College of Veterinary Medicine à l'Université Cornell et auteur du livre Anatomy of the Dog, le Dr Sandy deLahunta, neurologiste pour chiens, et la Dre Katherine Houpt, comportementaliste.

«Nous en venons tous à la conclusion que la force de morsure est proportionnelle à la taille de la mâchoire et des muscles de la mâchoire. Il n'existe aucune structure anatomique qui pourrait s'apparenter à un mécanisme de verrouillage chez aucun chien», disent-ils.

Une mâchoire plus puissante que la normale?

Le docteur Brady Barr, de National Geographic, a étudié les morsures d'animaux, testant ainsi autant les humains, les chiens domestiques que des animaux sauvages.

Voici les chiffres qui sont ressortis de cette expérience analysant la pression en livre de la morsure.

> Humains: 120 lb

> Requins blancs: 600 lb

> Hyènes: 1000 lb

> Crocodiles: 2500 lb

> Chiens domestiques: 320 lb en moyenne

Un berger allemand, un pitbull terrier américain et un rottweiler ont été testés grâce à une manche de morsures équipées d'un ordinateur spécialisé. Il en ressort que le pitbull terrier américain a moins de pression que les deux autres chiens.

Créé pour le combat?

Le pitbull n'est pas une race, mais une description qui en rassemble plusieurs: pitbull terrier, Staffordshire bull-terrier, Staffordshire terrier américain, etc. Il vient de la famille des molossoïdes et est issu du croisement qui combinerait l'esprit de jeux du terrier avec la force et l'athlétisme du bouledogue anglais. Des caractéristiques qui lui valurent d'être recruté pour les combats entre animaux (avec des ours ou des taureaux) si populaires au Royaume-Uni au XIXe siècle. Son nom se rapporte ainsi à deux éléments: «fosse/arène» (pit en anglais) et bull (taureau).

48 morts au Canada depuis 1964, dont 1 seul cas impliquant un chien croisé labrador/pitbull

4 étaient au Québec (3 cas par un husky, 1 par un berger allemand)

Source: National Canin Council