Les mutations du travail : vers de nouveaux modes de collaboration entre individus et entreprises

Les mutations du travail : vers de nouveaux modes de collaboration entre individus et entreprises

Portage salarial, micro-entreprise, temps partagé, groupement d’employeurs, jobbing, slasher…Vous avez sûrement entendu parler de ces nouveaux modes de collaboration. Ils présagent le monde du travail de demain. Un monde où les travailleurs indépendants, de plus en plus nombreux, vont reconfigurer totalement les relations de travail.

 

Le médiatique économiste libéral Jean-Marc Daniel nous avertit : si aujourd’hui, 90% des actifs sont des salariés, en 2050, les travailleurs indépendants représenteront 50% de la population active. Certes, cette affirmation est peut-être exagérée. Il est toutefois indéniable que les possibilités des nouvelles technologies, le contexte économique et les aspirations de la jeune génération la rendent possible. Rappelons que l’auto-entreprise a séduit jusqu’à 1 million de Français, et selon l’OIT, 14% des travailleurs européens sont déjà indépendants. En Angleterre, 40% des emplois créés depuis 2010 sont des postes d'indépendants !

                                                         Source : Le Figaro

 

Pourquoi le salariat perd de son attrait dans les plans de carrière

 

La digitalisation de la société : les technologies de l’information permettent, plus facilement qu’auparavant, de gérer sa vie professionnelle différemment. Les plates-formes de mise en relation entre des besoins et des compétences se multiplient et il y en a pour tous les goûts. On pense bien sûr à Uber (plus d’un million de chauffeurs dans le monde), on pense également aux plates-formes de jobbing permettant de trouver des « petits boulots » entre particuliers pour un complément de revenus (youpijob, jemepropose.com, jobbons, frizbiz,… qui se sont inspiré du précurseur américain Taskrabbit).

Les plus qualifiés se tourneront davantage vers des plates-formes dédiées aux free-lances, à l’instar de Hopwork ou de Humaniance. En effet, pour de nombreuses professions, il suffit d’une connexion Internet et d’un ordinateur pour pouvoir travailler, de chez soi, ou dans un lieu public ou privatif. Parce que leur métier est adapté à ce mode de fonctionnement, les informaticiens ont été les premiers à se lancer dans cette aventure, suivis maintenant par des webmarketeurs, des chargés de communication, des community managers ou des graphistes qui peuvent exercer leur art en toute indépendance.

Des nouvelles aspirations : les fameuses générations « Y » et « Z » ne se reconnaîtraient pas dans les structures traditionnelles. Baignant dans les réseaux sociaux, une partie de ceux qui en sont issus rechercherait avant tout l’autonomie, la transparence et le travail en réseau, leur permettant également de préserver leur temps libre, d’où un attrait particulier pour l’entrepreneuriat. Un récent sondage OpinionWay pour UAE-Fondation Le Roch Les Mousquetaires-Salon des Entrepreneurs révèle que 55 % des 18-24 ans et 56 % des 25-34 ans ont ainsi des velléités de créer leur entreprise. Cet état d’esprit se retrouve également dans toutes les couches de la population. 37 % des Français déclarent vouloir devenir entrepreneur et 49% des cadres se disent intéressés par cette idée. Donner du sens à son travail dans un monde noyé sous des scandales à répétition (crise des subprimes, crises sanitaires, pressions accrues sur le personnel…) est également certainement un élément déclencheur.

 Un chômage de masse : le contexte économique faiblard, particulièrement en France, pousse les populations les plus touchés, jeunes et moins jeunes, à créer leur propre job. Bénéficiant d’une bonne expertise, mais souffrant du « jeunisme » ambiant, de nombreux cadres se lancent dans le consulting. Cette situation n’est pas uniquement visible chez les quinquas, de plus en plus de quadras voire des trentenaires se tournent vers les sociétés de portage salarial pour proposer leurs services. En Europe, 6 millions de personnes (dont "seulement" 48000 en France) passeraient par cette solution.

L’atomisation de l’entreprise : dans un contexte économique mouvant et incertain, le besoin de flexibilité incite les entreprises à reconfigurer sans cesse leur fonctionnement. Les « modes projets » sont au cœur du développement de nouveaux produits ou services. Le mouvement d’externalisation de tout ce qui n’est pas stratégique s’accélère. Aux fonctions traditionnellement confiées à des prestataires extérieurs (nettoyage, gardiennage, transport…) s’ajoutent désormais des métiers de plus en plus intellectuels (traduction, informatique, communication, comptabilité, etc).

Au contrat de travail des salariés répond le contrat de prestation des sous-traitants

L’objectif de ce travail à la demande est double : utiliser pour une période donnée des individus spécialisés et bénéficier ainsi de leur expertise, tout en réduisant les coûts (mise en concurrence, …). Le rapport entre prestataire et entreprise est matérialisé par un contrat de prestation, plus aisément résiliable qu’un contrat de travail. Pour bon nombre d’entreprises, le mode de fonctionnement se fonde désormais sur des réseaux de partenaires plutôt que sur un modèle totalement intégré.

 

Des conséquences de grande ampleur

L’évolution du marché du travail vers ces modes de collaboration engendre de nombreuses répercussions aux contours encore mal définis.

Le premier défi concerne certainement la protection sociale du travailleur indépendant. Il suffit de regarder les procès contre Uber pour s’en convaincre.

On apprenait il y a quelques jours que l’Urssaf, estimant que des liens de subordination existent entre la société de VTC et les chauffeurs, a porté plainte contre Uber et souhaite percevoir des cotisations sociales. Aux Etats-Unis également, des milliers de chauffeurs ont exigé la requalification de leur contrat de prestation en contrat de travail pour pouvoir bénéficier de protections supplémentaires.

Pour mettre un terme à ces « class actions », Uber vient de proposer (en avril de cette année) 100 millions de dollars aux 385 000 chauffeurs de Californie et du Massachusetts. Si l’entreprise avait intégré ces personnes dans son effectif, cela aurait induit des dépenses colossales en assurance maladie et en cotisation chômage et la fin de son business model. Ce fut d’ailleurs le cas pour Homejoy, une plate-forme de ménage à domicile, qui a été contraint de fermer ses portes en juillet 2015 à la suite de procès intentés par des travailleurs indépendants réclamant le droit d’être salariés. D’autres start-up ont également connu des déboires similaires, à l’instar d’Instacart (Livraison courses de supermarché à la demande), qui a dû requalifier une partie de ses livreurs en salariés à temps partiel et fait actuellement l’objet d’une action de groupe.

En France, la protection sociale est basée avant tout sur les cotisations des salariés. En allégeant les charges, le statut d’auto-entrepreneur réduit également les droits, notamment au chômage.

Le compte personnel d'activité (CPA) est un premier pas dans la prise en compte de l’évolution du marché du travail, en rattachant des droits non plus à l’emploi, mais à la personne, quelle que soit la modification du statut dans le temps. Ce compte ouvre aux indépendants des formations, des validations des acquis, ou encore des primes de pénibilité, mais ne leur octroie cependant ni congés rémunérés ni assurance chômage. Il est intéressant à cet égard de constater qu’au Danemark et en Autriche, la sécurité sociale donne la possibilité aux indépendants de couvrir le risque de perte d’activité.

Pour pallier ces absences de protection, d’aucuns parlent de Revenu Minimum Universel. L’idée est non seulement de garantir des conditions de vie décentes aux plus démunis, mais également de fournir un filet de sécurité aux travailleurs indépendants et aux entrepreneurs pour leur permettre d’être plus sereins quant aux risques qu’ils prennent. Remplaçant toutes les aides sociales existantes, cette allocation de base serait enfin l’occasion de simplifier grandement un système français de redistribution de plus en plus illisible. La fondation Jean Jaurès, proche du PS, a étudié trois hypothèses en vue de l'éventuelle mise en place d'un revenu universel. La plus réaliste accorderait une allocation de 750 euros à chaque Français.

Partout sur la planète, les débats sur le revenu de base prennent de l’ampleur. La Finlande envisage de mettre en place un revenu de base de 800 euros à tous ses habitants en remplacement de l'ensemble des allocations versés par l'Etat. En Suisse, un référendum sera proposé le 5 juin prochain. Plus étonnant, certains dans la Silicon Valley se posent également cette question.

Mise à jour du 31/05/2016 : un récent sondage indique 51% des français serait favorable à l'instauration d'un revenu minium universel

 

Le « personal branding » et l’employabilité constituent le second enjeu de cette mutation. En compétition avec de nombreuses autres personnes, le travailleur 2.0 doit se faire connaître et être visible sur Internet (au travers d’un site Internet, d’une présence sur les réseaux sociaux, …). Il se doit également d’être irréprochable dans ces prestations, puisqu'il sera fréquemment noté publiquement. Il lui faut donc appliquer des méthodes marketing à sa propre vie (faire de la publicité, de la communication, chercher des clients, réaliser des devis, nouer des partenariats…). Cette posture n’est évidemment pas naturelle pour bon nombre de personnes et si l’on ne fait pas attention, la frontière entre vie privée et professionnelle sera de plus en plus tenue.

Pour ne pas se sentir seul, pour développer son réseau et bénéficier de l’expérience d’autres free-lances, ou encore pour avoir accès à des locaux fonctionnels, de plus en plus d’indépendants se retrouvent dans de nouvelles formes de collectivités. Si l’on prend les espaces de coworking, ils réunissent dans un même lieu des free-lances de divers horizons. Pour quelques heures, quelques jours ou quelques semaines, le travailleur 2.0 bénéficie d’un cadre plus professionnel qu’une pièce de son appartement, aussi aménagée soit-elle. Autre exemple, le cercle des indépendants de l'association Dynamique Cadres se veut un lieu d'échange des bonnes pratiques, de réseautage, de développement d'offres conjointes, ...

 

Au sein des entreprises également, ces mutations génèrent de nombreuses conséquences. Faire appel momentanément à des prestataires extérieurs ou des consultants free-lance pose inévitablement la question du sentiment d’appartenance et de la protection des informations sensibles ou confidentielles. Faut-il ouvrir l’accès à l’intranet à des personnes extérieures ? Comment ne pas délivrer des informations stratégiques ? Comment répondre aux interrogations des autres salariés en poste, qui pourraient se sentir menacés ? Comment faire en sorte que le freelance se fonde rapidement dans l’organisation, et en capte les codes et les usages ?

Le plus grand défi, peut-être, est ainsi de donner aux salariés les clés pour comprendre, accepter et tirer profit de cette mutation.

Pour ne pas être dépossédées de leurs prérogatives, les Ressources Humaines se doivent de proposer des solutions pour gérer intelligemment ce mouvement et accompagner leur entreprise dans sa transformation.

 

Loin d’être un épiphénomène dû à un contexte économique difficile, le mouvement ne peut que s’accélérer. Il est loin le temps où un salarié faisait toute sa carrière au sein d’une seule entreprise. Aujourd’hui et demain encore davantage, le parcours professionnel sera marqué par des successions de missions, de statuts, de transitions…

On assiste toutefois à une polarisation accrue du marché du travail. D’un côté, les plus qualifiés et les plus autonomes sont en capacité de profiter pleinement des possibilités offertes par le digital en développant leur propre marque. De l’autre, les petites mains issues de la « gig economy » (économie des petits boulots), des précaires courant le cachet sur les plates-formes de jobbing, se débrouillent comme elles peuvent. Si l’important, diront certains, est plus le « droit à l’activité » que le « droit au travail salarié », encore faut-il que ces nouvelles formes d’emploi garantissent une sécurité et une dignité minimum. Alors, prêt à devenir indépendant ?

 

[Certains clichés illustrant cet article proviennent du travail artistique d'Isabel Gomes Da Silva. Je la remercie chaleureusement et l'encourage à continuer !]

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🌱 Alexis CLAISSE

Conteur du vivant en entreprise 🌸 Développer son organisation, son territoire ou sa carrière par la bio-inspiration. 🐺 Conférences, séminaires bio-inspirés 🌳 Accompagnement dirigeants, carrières & réseaux, biz dev

7y

Passionnant, merci beaucoup!

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Claire Amado-Engelvin

Responsable Marketing Stratégique / Product Marketing Manager

7y

Merci pour cet article d'expert

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sylvie vaguener

Assistante Medico psychologique

7y

À suivre.... Un nouveau monde à nos portes....

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Stephanie Gonieau

Fondatrice et dirigeante d'Hotels and Sun--

7y

Très bon article ! Merci.

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Isabel Gomes Da Silva

Customer Success Manager Enterprise @ Powens

7y

Article très intéressant (comme toujours) sur un sujet qui effectivement fait débat. A chacun de choisir l'option (indépendant ou salarié) qu'il préfère ou de saisir l'opportunité qui s'offre à lui. Merci d'avoir utiliser mes photos pour illustrer ton article et surtout pour tes encouragements. Hâte de lire les prochains articles!

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