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Discours de Robert Ophèle, président de l’AMF - Conférence Banque de France/Université d'Orléans : "Crypto-actifs et cybersécurité : innovations et défis - Les enjeux de la régulation des cryptoactifs" (Université d'Orléans) – 15 octobre 2021

Discours de Robert Ophèle, président de l'AMF - Conférence Banque de France/Université d'Orléans : "Crypto-actifs et cybersécurité : innovations et défis - Les enjeux de la régulation des cryptoactifs" (Université d'Orléans) - 15 octobre 2021

Seul le prononcé fait foi

L’essor des crypto-actifs est un phénomène majeur qui n'en est, je pense, qu’à ses débuts. Or, c’est un domaine qui est très peu réglementé et où les risques sont immenses. Au-delà même des questions liées à leur valorisation, tant en niveau qu’en volatilité, on sait que c’est un terrain fertile pour :

  • le blanchiment et le financement d’activités illicites y compris le terrorisme, avec ses logiciels qu’on vous propose pour effacer les traces de vos transactions,
  • les fragilités liées aux architectures techniques y compris lorsqu’on cherche à développer une inter-opérabilité entre elles,
  • les commercialisations abusives et souvent totalement fictives auprès d’épargnants crédules.

Et pourtant, nous avons très tôt considéré, à l’AMF, que la digitalisation des actifs et le recours à la technologie des registres distribués constituaient des sources majeures d’innovation qu’il convenait d’accompagner voire d’encourager.

Nous avons ce soir des experts sur la technologie blockchain et mon propos va donc lui plutôt se concentrer sur le défi que représente cet essor des crypto-actifs pour les régulateurs.

Lorsque nous avons commencé à travailler sérieusement sur le sujet à l’AMF, c’était en 2017, la première question que nous nous sommes posée était complètement existentielle. Elaborer une réglementation dans un domaine en pleine ébullition où les innovations sont multiples, élaborer une réglementation nationale sur des produits pour lesquels la notion de frontières n’a pas de sens et parfois même est précisément une notion que le produit cherche à abolir, cela fait-il sens ?

Quand on hésite, on consulte, et nous avons donc effectué, en 2017, une première analyse juridique du phénomène et consulté la Place sur un possible cadre réglementaire des crypto-actifs titres et des prestataires de services sur ces crypto-actifs.

Nous en avons conclu que même si une approche purement nationale avait des limites évidentes dans ce domaine, il fallait avancer sur le sujet sans attendre l’Europe et que cela permettrait d’accélérer le processus européen qui pourrait alors s’inspirer de notre approche. Nous avons toutefois constaté que si, dans l’Union Européenne, il y avait un espace pour une réglementation nationale des actifs numériques non représentatifs de titres financiers, lorsqu’on passait aux titres financiers et plus particulièrement aux titres financiers cotés et négociés sur des marchés organisés, alors c’est la réglementation européenne qui était seule pertinente.

Nous avons également considéré qu’il était prématuré d’être trop prescriptif, que nous n’étions pas prêts à séparer le bon grain de l’ivraie, par exemple, en traitant de façon plus favorable les blockchains privés par rapport aux blockchains publics, dans un écosystème bouillonnant ; nous n’avions pas la compétence technique pour en mesurer toutes les conséquences et nous ne souhaitions pas brider l’innovation.

Sur cette base, nous avons participé étroitement à l’élaboration du projet de loi PACTE qui a intégré en 2019 un important chapitre sur le sujet en instituant :

  • un visa optionnel de l’AMF pour les projets d’ICO, visa qui était susceptible d’être accordé lorsqu’un certain nombre de conditions étaient réunies, tant sur la qualité du white-paper, l’équivalent pour les crypto-actifs du prospectus pour les titres financiers, que sur le process de collecte des fonds,
  • un enregistrement obligatoire auprès de l’AMF après avis favorable de l’ACPR sur le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et financement du terrorisme pour les prestataires de services sur actifs numériques, les PSAN,
  • un agrément facultatif de ces PSAN auprès de l’AMF, plus exigeant, notamment en termes de fonds propres, mais qui permet de faire du démarchage.

S’agissant des titres financiers digitaux, les security tokens qui sont inscrits sur un registre distribué et non dans les livres d’une institution financière, l’AMF et le Haut Comité Juridique de Place ont mené conjointement d’importants travaux d’analyse. En 2017, nous avons contribué à l’élaboration de l’ordonnance blockchain qui permet le recours aux registres distribués pour les titres non cotés. S’agissant des titres cotés, pour lesquels la réglementation européenne est dominante, les travaux ont débouché sur la publication en mars 2020 d’une analyse juridique de l’AMF sur l’application de la réglementation financière aux security tokens puis d’un rapport complet du HCJP, en novembre 2020, sur le même sujet. Ces analyses mettent en avant des constats convergents quant aux obstacles juridiques européens qui empêchent le développement des instruments financiers sur la blockchain et elles ont conduit à faire des propositions.

Où en est-on ?

S’agissant de la mise en œuvre de la loi Pacte, l’enregistrement obligatoire a conduit à enregistrer, à ce jour, 23 PSAN, et compte tenu des dossiers qui sont dans les tuyaux ce sera environ une trentaine de prestataires enregistrés en fin d’année. Nous en tenons une liste blanche à laquelle nous renvoyons les épargnants car ceux-ci font l’objet d’importantes sollicitations de la part de plateformes non enregistrées, voire totalement fantômes localisées en général dans des pays tiers souvent exotiques (St Vincent et Grenadines, Vanuatu… mais aussi le Royaume-Uni). Ces sollicitations frauduleuses font l’objet d’une liste noire mais également de mises en demeures puis de demande de fermeture des sites internet auprès du tribunal judiciaire de Paris qui sont ensuite transmises aux opérateurs des sites.

L’agrément optionnel des PSAN n’a pas prospéré car les prestataires intéressés ont, en fait, suspendu leur demande dans l’attente de la mise en œuvre du régime européen prévu par le projet de règlement MiCA. Nous n’analysons pas cela comme un échec de la réglementation française puisque l’agrément, qui devrait devenir obligatoire dans le régime européen, s’inspire très largement du régime prévu par la loi française. J’y reviendrai.

Le visa optionnel de l’AMF sur les ICO a eu un succès d’estime en raison d’un double phénomène, la baisse de popularité des jetons utilitaires, les utility tokens, ces jetons qui fournissent un accès numérique à un bien ou à un service, disponible sur la DLT, et uniquement accepté par l’émetteur du jeton et le niveau d’exigence de l’AMF pour accorder son visa. En fait, ce sont actuellement les émissions de crypto-actifs uniques et non fongibles, les NFT, qui se développent. Mais là encore, nous ne l’analysons pas comme un échec puisque le projet européen reprend très largement le dispositif français et le rend obligatoire.

S’agissant des titres financiers, qui, je ne vous le cache pas, constitue pour nous le gisement le plus prometteur de déploiement de la technologie DLT dans le périmètre financier, nos propositions ont prospéré et ont conduit la Commission Européenne à proposer un cadre réglementaire permettant l’expérimentation de la tokenisation des titres tout au long de la chaîne de marché qui va de leur émission, à leur négociation et au règlement livraison des transactions ; c’est le DLT Pilot Project.

Au milieu, entre ces utility tokens et ces security tokens il y a l’espace des tokens qui se présentent peu ou prou comme des instruments de paiement et comme des alternatives à la monnaie officielle. Cela va des actifs totalement déconnectés de tout autre actif réel ou financier comme le bitcoin, aux stable coins qui visent à reproduire de façon identique la valeur d’une monnaie, d’un panier de monnaie, ou d’autres actifs. D’une certaine manière, les monnaies digitales de banque centrale en sont une illustration la plus pure.

Je les ai situés entre les utility tokens et les security tokens car ces tokens permettent notamment de faciliter les transactions sur utility tokens ou sur security tokens : on voit bien que pour gérer entièrement sur blockchain le cycle de règlement-livraison des security tokens que j’évoquais à l’instant, le fait de pouvoir intégrer un jeton, stable coin de très bonne qualité, et si possible représentatif de monnaie banque centrale est un élément décisif.

De fait, le projet de Règlement MiCA pour (Market in Crypto Assets) qui couvre donc les crypto-actifs qui ne relèvent pas des Réglementations existantes en matière d’instruments financiers, distingue trois catégories de jetons :

  • les jetons utilitaires que j’ai déjà évoqués,
  • les jetons se référant à un ou des actifs : un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur de plusieurs monnaies fiat qui ont cours légal, à une ou plusieurs matières premières ou à un ou plusieurs crypto-actifs, ou à une combinaison de tels actifs,
  • les jetons de monnaie électronique : un type de crypto-actif dont l’objet principal est d’être utilisé comme moyen d’échange et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie fiat qui a cours légal.

Les émetteurs de jetons seraient assujettis à un cadre prudentiel adapté, cadre renforcé pour les deux dernières catégories lorsque les crypto-actifs sont considérés être d’importance systémique.

Le règlement couvre également la fourniture de services sur crypto-actifs par des prestataires et la prévention des abus de marché sur crypto-actifs.

Comme dans toute réglementation se posent les mêmes questions : est-elle adaptée ? et qui est en charge de la faire respecter ?. La première est naturellement la plus fondamentale mais la seconde a une portée toute particulière en Europe où les nombreuses autorités nationales sont en « concurrence » avec les autorités européennes. Pour l'AMF, ce sont les autorités européennes qui ont vocation à exercer leur supervision dans ce nouveau périmètre ; nous y gagnerions en efficacité dans un secteur qui, plus que tout autre, ne peut être enfermé dans des frontières nationales.

La pertinence de la réglementation est toujours difficile à évaluer ex ante dans un secteur qui reste encore largement en devenir et il faut donc en tout état de cause prévoir une capacité à l’adapter rapidement. A ce stade, ma principale préoccupation est d’assurer une équivalence de traitement entre des produits dont les finalités sont proches, en l’espèce les « stable coins » et les fonds de même nature que ce soit, par exemple, des fonds monétaires dont c’est précisément l’objet avec une valeur liquidative plus ou moins constante, même s’ils ne peuvent servir de moyens de paiement, ou des fonds ETF indiciels qui répliquent la valeur de telle ou telle matière première. Disons, qu’à ce stade, cette équivalence de traitement n’est pas établie.

Nul doute que la finalisation de ces projets constituera une des priorités de la Présidence française de l’Union qui interviendra au premier semestre 2022.