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6 initiatives qui font bouger les lignes dans le supérieur

Pour motiver et impliquer davantage les étudiants, de plus en plus d'établissements d'enseignement supérieur proposent des pédagogies alternatives fondées sur des mises en situation, des jeux, du bricolage ou encore du théâtre. Tour d'horizon de ces nouvelles manières d'apprendre.

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Le campus de GEM (Grenoble école de management)
Publié le 1 sept. 2017 à 08:00

1 - Classe renversée : le “do it yourself” de la Catho de Lille

Apprendre la théorie chez soi, avant le cours, et faire les exercices en classe, en posant au prof les questions sur les points difficiles : tel est le principe de la classe inversée, une pédagogie qui se développe aujourd’hui dans les écoles et les universités. L’intérêt ? Rendre les séances plus participatives et les étudiants véritablement acteurs de leur apprentissage.

A l’université catholique de Lille, un enseignant va plus loin, en expérimentant, depuis deux ans, la “classe renversée”. Professeur de biologie moléculaire et vice-président innovation de l’établissement, Jean-Charles Cailliez explique malicieusement qu’il ne “fait plus rien : les étudiants font tout !”.

Le campus de l'Université catholique de Lille Franck Crusiaux/REA

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Car s’ils sont accompagnés par l’enseignant, ce sont eux qui vont chercher les informations pour construire le plan du cours et en rédiger les chapitres. Il leur revient aussi de concevoir l’examen, d’établir le barème, et même de corriger les copies !

La classe comme une micro-entreprise

En troisième année de licence, le module de biologie donne ainsi lieu à la “création d’une micro-entreprise, une start-up dans laquelle les étudiants produisent de la connaissance, organisés en “business units” , décrit Jean-Charles Cailliez.

La constitution de ces équipes n’est cependant pas laissée au hasard : l’enseignant veille à mélanger de bons élèves en génétique, des élèves moyens et des élèves “peu intéressés” par la discipline, de manière à favoriser les interactions entre les différents profils. Chacun a un rôle défini, comme responsable de la production ou de l’écriture.

L’enseignant utilise par ailleurs la méthode d’apprentissage des “tableaux tournants” : il pose une question et chaque équipe commence à y répondre en dessinant des schémas ou en notant des explications.

Les groupes passent alors d’un tableau à l’autre, pour compléter ce qu’ont fait leurs camarades. Au bout d’un quart d’heure, ils ont co-élaboré différentes propositions de réponse, parmi lesquelles le biologiste désigne la plus pertinente, qu’il complète à son tour.

“Vous devenez les profs et je deviens l’élève”, lance Jean-Charles Cailliez, ravi de voir ses étudiants monter sur l’estrade, lui poser des questions et même lui donner des devoirs qu’ils notent ! Car, affirme celui qui se définit comme un “hacker pédagogique”, “la meilleure façon d’apprendre, c’est d’enseigner”.

2 - Fac de Pharma à Paris Sud : les étudiants dans la peau d’un industriel

Si les études de cas font depuis quelques années officiellement partie du programme de pharmacie, le projet prend une ampleur significative à l’université Paris-Sud, avec 140 étudiants qui choisissent l’orientation industrie-recherche. ”Nous avons la filière la plus importante de France, indique sa responsable Catherine Dubernet. Cela permet de mener un projet de grande ampleur en simulant la mise sur le marché d’un produit de santé innovant”.

Simulation réaliste

La promo se scinde en deux groupes qui forment deux entreprises : l’une travaille sur un dispositif médical (stimulateur cardiaque, lecteur de glycémie…), l’autre sur un médicament. Après l’élection d’un président et d’un directeur général, ces PME organisent leurs différents services, de la R&D au marketing, en passant par les essais cliniques, l’enregistrement, l’industrialisation et la production. “Tout est fictif, mais les cadres réglementaires sont réels et les données cliniques s’appuient sur la littérature scientifique”, précise Catherine Dubernet.

Pendant six mois, les étudiants, guidés par des enseignants, vont lire les études, analyser les tendances du marché et aller interroger des experts, mais aussi imaginer l’histoire de leur entreprise, la doter ou non de filiales et de visiteurs médicaux, définir son environnement économique et sa localisation… Autant d’éléments qui doivent aboutir à "l’élaboration d’une stratégie de lancement cohérente. Ils doivent vraiment se mettre dans la peau d’un industriel", insiste la responsable.

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Point d’orgue de l’exercice, la soutenance, en français et en anglais, consiste à présenter des « documents réalistes » permettant la mise sur le marché du produit. Au-delà de l’acquisition de connaissances scientifiques, le but est aussi d’apprendre aux étudiants à gérer un projet et à “adopter une posture professionnelle”, un an avant l’obtention de leur diplôme.

3 - Ingénieur à l’ENSGSI : une formation qui passe aussi par le corps

“Vous êtes dans une salle d’attente avant un entretien d’embauche. Vous ne vous connaissez pas, vous ne vous parlez pas”. Voilà la consigne donnée aux deux étudiants désignés pour monter sur scène. “Petit à petit, ils vont se rendre compte que, même quand on ne bouge pas, le corps dit beaucoup de choses”, souligne Valérie Bretagne, spécialiste de communication non verbale, qui anime des ateliers à l’ENSGSI Nancy (Ecole nationale supérieure en génie des systèmes et de l’innovation).

Objectif : prendre conscience de ses émotions et les accepter, dans un mouvement de lâcher-prise. L’ENSGSI accorde depuis sa création, en 1993, une grande importance au développement personnel : “Nous formons des chefs de projet innovants, qui ne peuvent se contenter d’être de bons techniciens : pour nous, le manager est le garant de la qualité relationnelle au sein d’une équipe.

Cela suppose de se connaître et d’être d’abord bien avec soi-même pour être bien avec les autres”, avance Martine Tani, responsable du pôle management, projet personnel et professionnel de l’école.

Soft skills

Dans cette perspective, l’ENGSI utilise le clown théâtre. “Un clown contemporain qui est tout le contraire du pitre !” précise Valérie Bretagne, qui y voit “un outil efficace pour accélérer le processus : on peut ressentir trois ou quatre émotions fortes en quelques minutes”. L’école propose aussi un travail sur la respiration, à travers des exercices de relaxation et de méditation active. 

Ces ateliers corporels viennent compléter des cours d’éthique, de responsabilité et de prise de décision qui visent à développer les “soft skills” des futurs ingénieurs. Alors que le savoir-être est aujourd’hui largement valorisé par les recruteurs et en entreprise, l’ENSGSI entend ainsi faire gagner quelques années à ses diplômés, grâce à l’acquisition de cette«maturité émotionnelle

4 - GEM sort le grand jeu pour former ses managers

Qui a dit que jouer n’était pas sérieux ? Depuis quelques années, les “serious games” se répandent dans l’enseignement supérieur, gagnant peu à peu en légitimité. Qu’il s’agisse de jeux de plateau ou de jeux vidéo, la dimension ludique permet de motiver l’étudiant et de l’impliquer davantage dans sa formation.

Le campus de GEMGrenoble école de management

En outre, “l’intérêt des serious games réside dans la notion d’essai et d’erreur : le jeu permet d’expérimenter, de se tromper et de recommencer », explique Hélène Michel, professeure en management de l’innovation à Grenoble Ecole de Management et spécialiste du sujet.

Depuis cinq ans, la business school crée elle-même des serious games et en a fait un élément phare de sa stratégie. Aujourd’hui, elle les utilise non seulement pour former ses étudiants, mais aussi pour les recruter, les intégrer et les évaluer.

Epreuve d’oral

Ainsi, plutôt que de passer un entretien classique, les admissibles à GEM peuvent choisir à l’oral de participer à un jeu de créativité où ils doivent imaginer comment combiner un personnage, un objet du quotidien et une caractéristique pour proposer un service ou un produit innovant. De quoi décontenancer les plus scolaires, habitués au cadre strict de la classe prépa…

Une fois admis, l’intégration passe, elle aussi, par le jeu : “Cela permet aux élèves de lier connaissance et d’être acteurs de leur apprentissage, en se confrontant à une problématique qu’ils doivent résoudre en produisant quelque chose de concret”, détaille Hélène Michel. Au cours de leur cursus, ils joueront ensuite à quatre ou cinq jeux différents chaque année.

Au lieu de rédiger un mémoire ou de faire une présentation à l’oral, certains auront aussi l’occasion de rendre un travail sous la forme d’un jeu qui devra “modéliser leur pensée”. Une manière de casser les codes tout en faisant appel à des compétences classiques en termes de raisonnement et d’argumentation.

5 - Mines d’Alès : être créatif, ça s’apprend

Si beaucoup d’écoles parlent aujourd’hui d’innovation, cela fait treize ans que les Mines d’Alès ont mis en place un enseignement autour de la créativité. Accueillant des élèves souvent assez scolaires après deux ans de classe préparatoire, « nous voulons, dès la première année, leur faire prendre conscience de leur potentiel créatif », indique le directeur des études, Michel Ferlut.

Le campus des Mines d'AlèsMinesAlès

La sensibilisation débute par un séminaire animé par une quarantaine de professionnels de grandes entreprises, PME et start-up, qui proposent aux étudiants de travailler en groupe sur certaines de leurs problématiques réelles.

Ce faisant, “les élèves voient qu’ils sont capables de générer de nouvelles idées, cohérentes par rapport à la stratégie d’une entreprise, et ils apprennent en même temps la méthode pour le faire”, souligne Michel Ferlut.

Mises en situation

Deuxième étape : le challenge créativité. Des industriels lancent un défi aux étudiants, qui ont six semaines pour y répondre par équipe. Qu’il s’agisse d’aménager des monospaces pour PSA ou de réfléchir à du mobilier connecté pour une start-up, à eux de “s’organiser comme ils le souhaitent, en dehors des heures de cours : certains organisent des séances de créativité avec de vrais utilisateurs qu’ils contactent par eux-mêmes”, apprécie le responsable. 

Enfin, le programme de l’école prévoit des missions de terrain : les élèves ingénieurs passent cinq semaines en entreprise, où ils travaillent à temps plein sur les aspects technologiques et marketing d’une innovation - de l’étude du besoin au prototype, en passant par la faisabilité technique et le business plan.

Conçu comme “une fusée à trois étages”, ce parcours en début de cursus, “amène les élèves à adopter une posture créative, qui donne ensuite plus de sens à l’apprentissage scientifique et technique”, affirme Michel Ferlut. Avec l’objectif de former des ingénieurs capables de “mettre en place les conditions propices au développement de la créativité en entreprise”.

6 - À l’université de Cergy, l’esprit “FacLab”

Ici, une fraiseuse à bois et une découpe vinyle, là une gravure laser, un peu plus loin un mannequin de couture et des échantillons de smocks… Sans oublier l’incontournable imprimante 3D. Bienvenue au FacLab de l’université de Cergy, en région parisienne ! Fondé en 2012, cet atelier fait figure de pionnier dans l’enseignement supérieur français.

Venus des Etats-Unis, sous l’impulsion notamment du MIT, les FabLabs mettent à disposition des outils classiques de bricolage, mais également des machines à commande numérique très sophistiquées. On peut y venir, librement et gratuitement, pour réaliser un prototype ou simplement tester une technique.

Le Faclab de l'université de CergyFaclab Cergy

En échange, “chacun doit participer à son échelle, en répondant aux questions des autres utilisateurs, en documentant ses projets ou en organisant de petites formations”, explique le maître des lieux, Laurent Ricard, attaché à ces valeurs de contribution et de réciprocité. Collaborer et innover Ouvert sur l’extérieur, le FacLab accueille aussi bien des étudiants et des enseignants que des habitants de Gennevilliers (où il est implanté). Ici, on apprend en faisant : c’est le principe du “learning by doing”.

“Se confronter avec le “faire” oblige, davantage que les pédagogies traditionnelles, à se questionner sur ses capacités et à interagir avec d’autres personnes pour acquérir des compétences complémentaires”, affirme Bruno Fiorio, chargé de mission du développement des projets et partenariats stratégiques à l’université de Cergy.

L’établissement souhaite désormais s’appuyer sur l’expertise du FacLab pour ouvrir d’autres “tiers-lieux” où étudiants, chercheurs, salariés et entrepreneurs pourraient se retrouver pour mener des projets transversaux. Avec le même objectif : encourager la collaboration et développer la créativité.

Sophie Blitman

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