« Les randonneurs, les chasseurs et le marquis »

La Tour Percée, devenue inaccessible depuis la décision du marquis ©AFP - DALMASSO MONICA / HEMIS.FR
La Tour Percée, devenue inaccessible depuis la décision du marquis ©AFP - DALMASSO MONICA / HEMIS.FR
La Tour Percée, devenue inaccessible depuis la décision du marquis ©AFP - DALMASSO MONICA / HEMIS.FR
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Direction les Alpes, où rien ne va plus dans le massif de la Chartreuse ! Une pétition, et une manifestation à venir, car un marquis, propriétaire de 750 hectares dans la montagne, veut en interdire l’accès aux randonneurs (mais pas aux chasseurs).

Il était une fois, dans les Alpes en Isère, plus précisément dans le massif de la Chartreuse, des randonneurs aimant profiter des paysages magnifiques, arbres, barres rocheuses, et une très rare arche naturelle, en empruntant les sentiers et notamment le GR9, pendant que gambadent chamois et autres mouflons…

Mais les chasseurs sont aussi dans la zone, autorisés par la loi comme dans la majorité des réserves naturelles à tirer sur les chamois ou les tétra lyres, et le tout avec des incitations, puisqu’un marquis, propriétaire de 750 hectares de terres dans le massif, en a fait un business...

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Depuis quelques semaines, le marquis, Bruno de Quinsonas-Oudinot, a fait poser des petits panneaux rouges « propriété privée, défense d’entrer » un peu partout, au grand dam des habitués de la montagne, comme Marion ou Vincent :

“Je me suis sentie assez mal à l’aise, et en colère, parce que je pense que les raisons de cette interdiction ne sont pas du tout fondées.”** À savoir qu’il y aurait trop de randonneurs, des “hordes déferlantes de curieux irrespectueux sans foi ni loi”, déclarait le marquis il y a un moment déjà au Dauphiné Libéré. Il ne veut plus faire aucune interview aujourd’hui. Sauf qu’en parallèle, c’est open bar pour les chasseurs, y compris des étrangers, qui dépensent des milliers d’euros pour venir faire leur petit “séjour chasse”.

“Ces chasseurs viennent parce que le marquis fait des profits sur cette zone en vendant des droits de chasse très cher. Ça fait venir des chasseurs pour ramener des trophées de chamois, qui sont très cotés dans le milieu. Le fait qu’on dise que les randonneurs n’ont plus le droit de venir, mais que les chasseurs eux, oui, ça me gêne beaucoup.”

Le marquis avance, toujours dans l’ancienne interview, que les chasseurs sont “les gardiens de l’équilibre sylvocynégétique”, avec, sur le côté commercial, un autre argument, rapporté par le président du parc naturel régional de la Chartreuse, Dominique Escaron, qui lui parle deux fois par semaine :

“Ça fait partie de ses “revenus”. Lui, quand vous lui parlez de ça, il vous explique qu’il paye une taxe foncière, donc il faut bien en contrepartie qu’il puisse en tirer un avantage, quel qu'il soit*. Donc oui, pour lui l’avantage c’est de le louer à des alpages, de le louer à des chasseurs… Voilà.”*

Un revenu supplémentaire, et tant pis si le symbole, tellement cool en 2023, la chasse business plutôt que les randonneurs, ne plait pas. Une pétition a été lancée par le collectif Chartreuse dont font partie Marion et Vincent, contre la privatisation du massif,avec plus de 25.000 signatures. Des tracts sont distribués aux visiteurs du château du Touvet, propriété du marquis, et une manifestation est prévue le 15 octobre. Bref, la situation s’envenime :

“C’est affreux”, dit un peu en rigolant le président du parc naturel régional, qui se dédouane complètement : 
“On n’est ni propriétaire, ni législateur, ni gendarme, ni rien. Un parc, c’est un syndicat de 72 communes pour la Chartreuse, sans compétence.”

Il ne peut rien faire, si ce n’est être un peu médiateur dans l’histoire, car monsieur Bruno de Quinsonas-Oudinot a son droit de propriété renforcé depuis février dernier, par une loi destinée à la base à limiter les engrillagements, et stipulant bien que « lorsque « le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui » est interdit ». Problème, pour Marion :

“Il faut savoir qu’en Isère on a 74% des surfaces forestières qui sont privées. Si chaque propriétaire privé demandait l’interdiction de circulation aux randonneurs, il n’y aurait plus beaucoup, ou beaucoup moins d’espaces de circulation… Cette situation interroge un peu plus largement le rapport à la propriété privée sur les espaces naturels.”

Dominique Escaron confirme :

“Là maintenant, on nous demande de répondre clairement à des questions très précises, est-ce que j’ai le droit d’aller partout en montagne ? Qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde aujourd’hui… Et puis effectivement, est-ce que la chasse professionnelle c’est autorisée, pas autorisée… Mais l’accompagnateur de moyenne montagne c’est un professionnel, il vit de ça, et il va marcher dans la nature, alors est-ce qu’il a le droit, pas le droit… Est-ce qu’il y a des garde-chasses, est-ce qu’ils sont autorisés, assermentés… Est-ce que les panneaux dans une réserve naturelle nationale, on peut les poser ou pas… Pleins de sujets restent à clarifier nettement.”

Le tout au niveau national car le problème peut se poser partout, bien sûr. En attendant, des discussions sont en cours avec le marquis pour qu’il signe une convention de passage, qui autoriserait donc les randonneurs à passer sur les chemins balisés, contre exonération de toute responsabilité en cas d’incident et prise en charge de l’entretien.

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