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jeudi 30 mars 2017

«MOI AUSSI, JE SUIS UNE DESCENDANTE DE MIGRANTS»


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MICHELLE BACHELET
Amérique latine - Pour la présidente chilienne, Michèle Bachelet, le système doit se réformer au lieu de désigner des boucs émissaires.
Tribune de Genève / Par Alain Jourdan

MICHELLE BACHELET
PHOTO AP
De passage à Genève, Michelle Bachelet a estimé qu’il fallait envisager une réforme du système de gouvernance mondiale pour contrebalancer les effets négatifs de la mondialisation. Venue défendre la candidature de son pays au Conseil des droits de l’homme, elle a également fait part de son désir de voir le Chili jouer un rôle plus important.

Comment l’Amérique du Sud réagit-elle à l’arrivée de Donald Trump et à ses charges contre les migrants?

L’Amérique latine se sent concernée car beaucoup de ces migrants sont des Latino-Américains. Le discours anti migrants n’a pas seulement atteint les États-Unis. Il s’est aussi répandu dans de nombreux autres pays. Il faut arrêter de penser que l’immigration est toujours une mauvaise chose. Cela nourrit aussi les échanges culturels et produit de la richesse. Si on veut restreindre le phénomène, il faut s’attaquer aux causes, les guerres, la pauvreté, le sous-développement, et non pas aux conséquences. On migre par nécessité. Je viens moi-même d’une famille qui a dû quitter la France après la pandémie de phylloxéra qui décima les vignobles au XIXe siècle.

Pourquoi en fait-on des boucs émissaires?

La globalisation a apporté des bénéfices mais aussi beaucoup d’inégalités. Des gens ont perdu leur emploi, grossissant les rangs des laissés-pour-compte de la croissance. C’est ce qui a poussé certains à se réfugier dans le nationalisme. Mais le Brexit et l’élection du président Trump s’expliquent aussi par l’incapacité des responsables politiques à répondre aux défis posés par l’explosion des nouvelles technologies. Au lieu d’apporter des réponses, ils ont désigné des responsables: les migrants.

Comment sont vos relations avec Donald Trump?

Comme présidente, j’ai connu différents présidents américains et cela s’est toujours bien passé. J’espère que cela va continuer. Le président Trump m’a téléphoné il y a deux semaines. Il m’a fait part de son souhait de maintenir de bonnes relations avec mon pays.

Son retrait de l’accord de partenariat transpacifique rebat pourtant les cartes…

Au sein de l’Alliance du Pacifique, qui regroupe le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou, nous étudions comment nous allons pouvoir faire vivre l’accord de partenariat transpacifique (TPP) sans les États-Unis. Notre groupe a invité le groupe Asie-Pacifique. Nous avons parlé avec la Chine et la Corée du Sud. Nous envisageons de créer une plate-forme qui pourrait conserver certaines dispositions du TPP tout en s’adaptant aux nouvelles réalités pour travailler à l’intégration régionale, mais aussi au resserrement des liens entre l’Asie et le Pacifique. Notre partenariat avec l’Union européenne devra également être renforcé.

Comment voyez-vous l’organisation du monde dans les prochaines années?

Aujourd’hui, nous sommes dans un monde interconnecté avec des défis globaux à relever. Les institutions multilatérales doivent s’adapter. Le système international doit devenir plus démocratique, plus transparent, plus effectif et répondre plus vite aux besoins des gens. Il y a une certaine déception parce que l’ONU a échoué à résoudre certaines crises, comme en Syrie. Il est temps d’aborder la question de la réforme du Conseil de sécurité. Il faut sans doute donner plus de pouvoir aussi au secrétaire général de l’ONU. Quant au rôle dévolu à Genève, il restera central dans de nombreux domaines parce que c’est ici que sont concentrés les organes les plus importants comme le Conseil des droits de l’homme, l’Organisation mondiale du commerce, l’Organisation mondiale de la santé…

Pourquoi le Chili est-il candidat au Conseil des droits de l’homme?

Le Chili est une démocratie très attachée à la défense des droits humains. Nous sommes engagés à les défendre à l’intérieur de notre pays mais aussi à l’extérieur. Nous préparons un plan quadriennal pour fixer nos priorités. Le Chili considère que les gens doivent pouvoir vivre et s’aimer comme ils veulent. Ce qui implique notamment de respecter l’égalité homme-femme, le droit à l’avortement mais aussi les droits LGBT (ndlr: lesbiennes, gays, bisexuels et trans)… Mon pays estime aussi que lutter contre la torture et les crimes contre l’humanité doivent être des priorités. Parce que nous menons tous ces combats, notre candidature est légitime.

Quelles sont vos attaches avec Genève?

Au plan personnel, j’ai des liens amicaux très forts avec Micheline Calmy-Rey. Comme chef d’État, je me souviens d’une visite effectuée au Musée de la Croix-Rouge à l’occasion du 100e anniversaire de la disparition d’Henry Dunant. Ce fut un moment très fort. J’ai réalisé combien nous étions collectivement responsables de notre avenir. J’ai aussi saisi toute l’importance qu’il y a à transmettre aux nouvelles générations les valeurs portées par la démocratie.

Comment avez-vous réagi aux lourdes accusations de violation des droits de l’homme portées contre votre pays par le président bolivien Evo Morales en septembre dernier devant cette même instance?

Le Chili respecte et respectera les traités internationaux parce qu’ils garantissent la sécurité et règlent les questions de frontière. C’est tout ce que j’ai à dire sur cette question.