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Henri Emmanuelli, crénom de non

par Luc Le Vaillant
publié le 21 mai 2005 à 2h16

Henri Emanuelli est mort mardi 21 mars 2017, à l'âge de 71 ans. En mai 2005, Libération dressait  son portrait lors de la campagne référendaire.

Henri Emmanuelli, 60 ans. L’ancien et bourru secrétaire national du PS, en congé de discipline du parti, bat la campagne pour le non.

Il est en sueur. Tel un boxeur groggy à la limite de la rupture, Henri Emmanuelli tape dans le sac de sable du oui libéral, du oui méprisant, du oui d'en haut. Et parfois, entre pertinente pédagogie économique d'ancien banquier et glissades franchouillardes, on croirait entendre du Guy Bedos, noir et âcre comme un crachat, drôle et vachard quand il encorne en habit de misère, houspillant un public tout acquis comme si on ne tatanait vraiment que ceux qui vous aiment bien. Mais la suée lui vaut une pâleur affaiblie, comme si celui qu'on caricature en gaillard rustre, rustaud et maousse costaud, avait aussi son âge (60 ans), sa fatigue, et une étonnante maigreur (70 kg ?) que masque une taille respectable (1,80 m) mais moins haute qu'imaginé. Raffarin est rentré au Val-de-Grâce pour en finir avec sa mauvaise bile. Bravache, flambard, très «moi, je ne suis pas ce genre de petite chose !», le petit-fils de berger corse, le fils d'électricien pyrénéen, a snobé l'hôpital. Et balaie son choc médicamenteux, d'un : «Avec leur Constitution, ils ont fini par me coller une jaunisse.»

Solo ? Il est seul et il s'en trouverait plutôt bien. Le grognard grognon, houspilleur des reniements ambiants mais scrupuleux coeur fidèle, taille désormais sa route, en se fichant comme d'une guigne de la discipline du parti. L'ancien premier secrétaire fait campagne pour le non, et advienne que pourra. Un proche : «Pour Henri, cela tient de la transgression majeure.» De là à tenir son escapade en solitaire pour son dernier combat, pour une façon de brûler ses vaisseaux, méfiance. Car Emmanuelli peut bien préférer «la fonction tribunicienne à l'exercice du pouvoir» et donner «tous les postes ministériels pour l'impact d'un Jaurès», il possède un crédit illimité auprès de son parti. Il a servi de bouc émissaire lors de l'affaire Urba. Depuis, le PS marine dans sa culpabilité et pardonne beaucoup à celui que ce petit monde tétanisé a soutenu comme la corde le pendu. Emmanuelli est craint car on lui a manqué et qu'il sait beaucoup sur chacun. Et il est d'autant plus respecté que c'est un homme de peu d'argent. Ombrageux et rancunier, il s'est appliqué à redevenir illico député de la Chalosse et président du conseil général des Landes. Il l'est toujours, ne lâchera jamais, gagne 5 200 euros mensuels, loue un pied-à-terre dans le XVIe arrondissement, et possède une grande bâtisse en pleine cambrousse, près de Dax, où ont grandi ses deux enfants, où vit toujours sa femme, ex-prof de gym, et où il monte sur sa «tondeuse autoportée» sortie d'un film de David Lynch, pour ratiboiser ses prairies et remâcher ses pensées, dans une pétarade de fumées bleues.

Miso ? On est dans une salle des fêtes en Normandie et Emmanuelli pique une rogne. La raison ? Qu'importe. Ce qui sidère, c'est le gueuloir fulminant à donner envie de lui envoyer le crachoir au nez et le trépignement digne d'un bambin en barboteuse. Victor, son chauffeur chilien, ancien du MIR et qui ne se perd plus depuis qu'un GPS équipe la Safrane, et Emir, le jeune attaché parlementaire qui a fait évoluer Emmanuelli sur la Turquie, connaissent l'animal et laissent mugir le mufle maximum. Les uns et les autres disent : «Il se met dans des états insensés, mais au final, c'est un fidèle qui ne vous laisse jamais tomber.» Un ancien ministre (PS-oui) pointe là les limites du personnage et les raisons de son esseulement : «Henri est un misanthrope qui ne fait confiance à personne, qui repasse derrière vous, qui ne délègue pas comme Hollande, qui n'encourage pas façon Rocard. Il a beaucoup morflé, mais l'amertume et la rancoeur sont mauvaises conseillères.» Lucide sur lui-même, Emmanuelli reconnaît : «Je suis un chieur et un colérique. Mais, au moins je suis sincère.» Et l'ex-ministre de lui en donner acte : «Il a une vraie pensée. Une constance. Une cohérence.»

Archéo ? Fabius et Emmanuelli ont le même âge et pourtant l'un joue encore son avenir quand l'autre a toujours paru has been. Voilà ce que c'est de ne jamais avoir donné de gages au social-libéralisme des riches et célèbres... Emmanuelli revendique avec gourmandise ce dédain des aristocraties qui lui permet de promener au bout d'une pique sa gloire de sans-culotte au «cul rouge, un jour, cul rouge, toujours». Egalitaire dans le Paris des libéraux-libertaires, féodal mais modernisateur dans «ses» Landes, il adore s'autodéprécier d'un «moi le con, le ringard, l'ignare». Pour aussitôt, faire valoir qu'il en remontrait à Mitterrand sur leur passion commune, l'étude des monothéismes débutants, au premier siècle après J.-C. Ou qu'il argumentait d'égal à égal avec Badinter, qui «théologisait le droit» quand lui ne jure que par le suffrage universel.

Ossau ? A l'origine, c'est exact, le gamin part de loin. De tout là-haut, 1 400 mètres d'altitude, dans la vallée d'Ossau, entre Béarn et Espagne. Il aurait dit, un jour, qu'il était «le fils de l'ours, du tonnerre et du feu». Après vérification, la version exacte est «ours, tonnerre et glace». Ce qui sonne avec bien moins d'évidence. De l'ours, il a la patte gauche. Un handicap de naissance, un doigt manquant, qui ne l'a pas trop perturbé, «ado peut-être ?», et qu'il transforme en atout politique, crânant d'un : «Je me suis fait enlever le petit doigt, celui qu'on met sur la couture du pantalon.» Le tonnerre, c'est le père. Famille PC, «anticléricale, antimilitariste». Et l'éclair de sa mort fulgurante, tandis qu'il répare un transformateur adossé à une église. Non pas le foudroiement d'un sans-Dieu défiant le ciel, plutôt l'accident de travail d'un sous-traitant d'EDF. La glace ? La maladie. Celle de sa mère. 1965. Le pensionnaire du lycée de Pau truste les prix d'excellence. Un inspecteur des impôts prend sous sa houlette le fils boursier de celle qui a dû se mettre à faire des ménages. Emmanuelli fait Sciences-Po quand sa mère est victime d'une hémiplégie. Il revient au pays, fait le garde-malade, loue des skis, remâche son ennui. Elle meurt deux ans plus tard, le libérant de ses devoirs, mais un peu tard. Il ne fera ni HEC, ni l'ENA. Et pourra ainsi brocarder cette élite qu'il aurait bien voulu rejoindre.

Macho ? Autre grief récurrent, le machisme. Comme si les champions du non devaient cumuler l'ensemble des tares de ce vieux pays... Dans les Landes, c'est vrai, Emmanuelli peine à respecter la parité des élus. Mais celles qui travaillent avec lui reconnaissent que ses colères n'ont pas de sexe. Elles parlent plus volontiers de son paternalisme bougon auquel personne n'échappe. Sinon, les femmes le disent plus bravache séduisant que séducteur baveux. Lui ferait plutôt dans l'absurde sexisme à rebours, façon Ségolène Royal, sur ces dames si extraordinaires, si courageuses. Il parle de la sommaire «mécanique» des hommes, de l'avance «électronique» des femmes. Mais il est fasciné par l'utérus artificiel comme il soutient le clonage thérapeutique ou le mariage gay. Sinon, il ne boit pas de pastis et pour les règles du rugby, il demande à sa femme.

Dingo ? Est-ce la fatigue, la fièvre, ou un réalisme magique à la Garcia Marquez ? Emmanuelli se met à raconter l'histoire du bébé poilu sorti d'une poubelle. Evoque un cheval à nageoires. Ou guette les oiseaux qui font silence, à l'aube comme au crépuscule.

Gentil ? Une admiratrice a prévenu : «Emmanuelli pique des crises. Mais c'est un vrai gentil.» Pour Hollande aussi, «ce sont les gentils qui gagnent toujours à la fin». Comme s'il était encore question de gentillesse, à l'heure du référendum.

Henri Emmanuelli en 10 dates

1945 : Naissance à Eaux-Bonnes.

1978 : Député des Landes.

1981 : Secrétaire d'Etat aux DOM-TOM.

1983 : Secrétaire d'Etat au Budget.

1987 : Trésorier du PS.

1994-1995 : Premier secrétaire.

Décembre 1997 : Deux ans de privation de ses droits civiques dans l'affaire Urba.

2000 : Député et président de conseil général.

8 août 2004 : Blanchi dans l'affaire Destrade.

29 mai 2005 : Référendum.

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