Une campagne présidentielle apporte toujours son lot de contre-vérités. Un des domaines régulièrement malmené est l’histoire de France, objet de nombreux fantasmes et recompositions à la faveur du discours des uns ou des autres.
Le 29 août, au meeting de rentrée du Parti socialiste, Manuel Valls gratifiait la salle d’un raccourci sur Marianne qui a « le sein nu » parce qu’elle est « libre », et « pas voilée ». Un mélange d’approximations historiques (Marianne n’a pas toujours eu le sein nu) et de manipulation des symboles (l’allégorie de Marianne n’a jamais eu vocation à dicter le vestiaire féminin). Le raccourci avait été rapidement pointé par l’historienne Mathilde Larrère, maître de conférences à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée et ancienne responsable départementale du Parti de gauche.
Aujourd’hui, c’est Nicolas Sarkozy qui convoque « les Gaulois ». Lors d’un meeting à Franconville (Val-d’Oise), l’ancien chef de l’Etat a déclaré :
« Dès que l’on devient français, nos ancêtres sont gaulois. »
Une phrase qui témoigne d’une vision fantasmée de l’Histoire, proche de ce que les historiens appellent le « roman national », cette histoire de France en partie réinventée pour créer une continuité culturelle, géographique et ethnique du peuple français, de sa langue et de son territoire à travers l’histoire – alors que la France est en fait le fruit de multiples recompositions.
Aucune réalité historique
Comme si cela devenait une habitude, deux historiennes sont entrées dans le débat pour remettre les choses dans l’ordre : Mathilde Larrère, et ses petits rappels historiques en série de tweets déjà familiers, et Laurence De Cock, professeure d’histoire-géographie à Paris, elle aussi « engagée à gauche » et se disant « proche du mouvement Ensemble ! ».
A quatre mains, elles ont procédé au détricotage méthodique des propos de Nicolas Sarkozy. L’ensemble des tweets a été rassemblé sur Storify. Mathilde Larrère se charge d’expliquer que « les Gaulois » ne correspondent à aucune réalité historique, le terme recouvrant en fait de nombreuses ethnies rassemblées sous le nom « Gaulois » par l’empire romain.
Laurence De Cock enchaîne avec les origines du « roman national », cette histoire de France enseignée dans les écoles à partir de 1870 avec l’obsession de créer une « unité » nationale à travers l’enseignement républicain. Entre autres mythes, « les Gaulois », qui seraient nos « ancêtres ».
L’historienne revient sur la (longue) histoire du Gaulois dans les manuels scolaires français. Longtemps, l’école de la République se base sur les manuels d’Ernest Lavisse (dont la première édition date de 1884), historien du « roman national » censé communiquer aux enfants « l’amour de la patrie ».
Ce mythe des Gaulois dure jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, où l’on entreprend de réécrire les livres pour faire disparaître la notion de races et où, l’historiographie ayant beaucoup évolué, l’idée d’enseigner aux enfants une histoire « continue » dans laquelle nous serions les descendants des Gaulois n’a plus beaucoup de sens.
De la difficulté de trouver le bon ton sur les réseaux
Contactée par Le Monde, Laurence De Cock nous explique une démarche à la fois spontanée et née d’un engagement de longue date. Un petit groupe d’historiens, rassemblés derrière le projet « Aggiornamento histoire-géo », lutte depuis plusieurs années contre les réécritures « réactionnaires » de l’histoire de France.
Mme De Cock cite par exemple les ouvrages de Lorànt Deutsch et de Dimitri Casali :
« Des succès éditoriaux et politiques massifs face auxquels nous, les chercheurs, qui travaillons sur des sujets plus précis et plus complexes, avons beaucoup de mal à nous faire entendre. »
La réactivité avec l’utilisation de réseaux sociaux – faire des résumés sur Twitter consultables ensuite sur Storify – est une démarche qui a pour but de s’adresser au plus grand nombre. « On s’empare d’un sujet quand on voit qu’un propos se répand et qu’il n’y a pas de contre-discours », explique-t-elle, sans pour autant délivrer une leçon d’histoire.
« On pose des rappels à la vérité tout en essayant de trouver un registre qui ne soit pas sentencieux, qui ne nous pose pas en savants. »
Sur l’espace restreint des 140 caractères de Twitter, « c’est un véritable exercice de style, car il faut rester léger sans dire de bêtises ».
Cette initiative du « contre-discours » en ligne en est encore à ses débuts et ne deviendra peut-être pas systématique au cours de la campagne. « Il faut savoir doser », explique Laurence De Cock, qui tient à souligner que tout ce qu’elle a mentionné sur Twitter sur le roman national est déjà « écrit et réécrit ».
« Il y a aussi du découragement de voir certaines questions revenir de manière cyclique comme si rien n’avait jamais été écrit sur ces sujets. »
D’autant plus décourageant que le même homme politique peut, sur le même sujet, dire tout et son contraire. Comme l’a rappelé Libération, Nicolas Sarkozy moquait, en mai, l’apprentissage de l’histoire façon « manuel de Lavisse ».
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu