Oüi FM et Arthur, ils se sont dit “oui” pour le pire

En 2008, l’animateur Arthur rachète la radio rock Oüi FM et promet de lui donner une seconde jeunesse. Mais c’est une révolution managériale qui va s’opérer : débarquements de personnalités cultes, suppressions d’émissions, recadrages réguliers… Aujourd’hui, malgré une légère et courte embellie, la radio rock est devenue une radio de flux entre musique et publicité.

Par Elise Racque

Publié le 01 mai 2018 à 20h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h28

Cest l’histoire d’une belle endormie que devait réveiller un titan de l’audiovisuel commercial, le feuilleton d’un mariage un peu forcé. Celui d’une station musicale aux audiences chancelantes, mais jouissant d’une belle notoriété, avec un homme médiatique, Arthur, qui perd son pari d’attirer de nouveaux auditeurs.

Lancée en 1986 à Paris par une poignée d’aficionados, Oüi FM se distingue historiquement par un ADN résolument rock : elle diffuse les classiques du genre et des programmes thématiques sur la littérature ou le cinéma. Trente-deux ans plus tard, son slogan d’alors, « Le son qui a du sens », semble totalement hors sujet. L’antenne qui a fait connaître Nirvana et Muse aux Français a perdu de sa richesse ; elle se contente de diffuser un flux monotone, alternant musique et publicité. Que s’est-il passé ?

En 2008, la station, après être passée dans le giron de Polygram puis du milliardaire anglais Richard Branson, est rachetée par Arthur – qui a refusé de répondre à nos questions par « manque de temps » – pour 5 millions d’euros. Le présentateur et producteur de TF1 (Les enfants de la télé…) n’est pas inexpérimenté, côté micro : il a officié à RFM, Skyrock, Europe 1, Fun Radio et Europe 2, s’autoproclamant « l’animateur le plus con de la bande FM » dans les années 1990.

Depuis la revente, en 2007, de ses parts dans la société de télé-réalité Endemol, il investit dans diverses productions télévisées et fait figure de businessman. Un bon candidat, donc, pour stimuler Oüi FM, dont les audiences sont à la peine. L’intéressé est confiant. Au Point, il assure : « On ne change pas l’équipe ni le positionnement rock et rebelle. » Aux salariés, il promet qu’il doublera le nombre d’auditeurs et prédit une future place de leader radiophonique en Ile-de-France.

L’objectif : “faire de l’audience et assainir les comptes”

Le nouveau propriétaire place Emmanuel Rials à la tête de la radio. Ex-directeur opérationnel de Skyrock puis des réseaux Fun Radio et RTL2, cet homme d’expérience est un gage de sérieux. Lorsqu’il prend ses nouvelles fonctions, son cahier des charges est clair : « Faire de l’audience et assainir les comptes », se souvient-il dans son vaste bureau, d’où il préside la station.

En avant donc pour le conte de fées, l’ascension merveilleuse. Quitte à y laisser son âme. En 2009, la radio se sépare d’une vingtaine de salariés, dont des voix cultes comme celles de Sandrine Vendel, qui était passée par toutes les tranches horaires depuis 1999, ou de Gilles Verlant, qui animait depuis 2001 le célèbre programme L’odyssée du rock. Moins d’émissions, rédaction minimale, suppression des journaux et des chroniques : l’heure est aux économies. Derrière ses lunettes rondes, Emmanuel Rials affiche l’air navré mais sûr de lui de l’homme d’affaires habitué aux coups durs. « La station perdait des sommes colossales depuis des années. Il était nécessaire de réduire la voilure pour enfin retrouver la rentabilité. »

“Je ne travaille pas pour mes salariés mais avec eux, et pour mes auditeurs”, souligne Emmanuel Rials, président de Oüi FM depuis 2013.

“Je ne travaille pas pour mes salariés mais avec eux, et pour mes auditeurs”, souligne Emmanuel Rials, président de Oüi FM depuis 2013. © Oüi FM

Sauf que le changement saute aux oreilles et ne passe pas auprès d’un public pour qui couper un disque constitue un sacrilège. Sur les réseaux sociaux, les auditeurs traditionnels se plaignent de l’arrêt des émissions. Dans les studios, on ne comprend pas forcément les revirements éditoriaux de la direction. Un ancien matinalier se souvient d’un grand désarroi : « J’avais le sentiment que les nouveaux dirigeants n’arrivaient pas à connaître le produit Oüi FM, son public, l’esprit de cette radio. Tout était géré dans l’urgence. » Il commente aujourd’hui cette période avec amertume et compare son éviction à une « rupture amoureuse qu’on ne comprend pas » : « Il y avait un recadrage tous les six mois, ce n’était pas stable. On nous avait d’abord dit qu’on ouvrait la programmation musicale à des titres un peu moins rock, avant de nous demander un retour aux purs classiques des années 1980-1990. Nous étions perdus. »

En évoquant cette période, Emmanuel Rials assume une manœuvre purement économique : « Ces petites inflexions étaient de la microchirurgie. Je ne travaille pas pour mes salariés mais avec eux, et pour mes auditeurs. Ce sont eux mes clients, personne d’autre. »  Malgré les mécontentements des anciens, la stratégie se révèle relativement efficace. L’audience se stabilise en Ile-de-France, et la radio gagne surtout de nouveaux auditeurs dans les régions, obtenant des fréquences supplémentaires dans une vingtaine de villes entre 2008 et 2015. On réembauche.

Mais l’embellie ne dure pas. L’audience est globalement insuffisante – en Ile-de-France, sur la période janvier-mars 2015, elle tombe à 1,3 % (selon Médiamétrie), contre 2,2 % en 2008. Des économies sont demandées, et les conditions de travail des employés se dégradent. Pour toucher un salaire, les animateurs doivent dénicher un sponsor pour leur émission ! Entre 2014 et 2017, le chanteur des Naive New Beaters, David Boring, a assuré La Onda radio show chaque samedi pendant une heure bénévolement, faute d’avoir trouvé de quoi la financer.

Un ancien cadre – qui préfère rester anonyme – confirme l’usage du procédé, qu’il juge « hallucinant » : « Je négociais les salaires en fonction de l’apport des sponsors, précise-t-il. Les animateurs faisaient la queue devant mon bureau comme à la Sécu. » Droit dans ses bottes, Emmanuel Rials affirme que cette méthode était la seule façon de maintenir la grille. « Pour s’en sortir avec la quantité d’émissions de l’époque, il fallait au moins trouver un annonceur pour permettre si ce n’est la rémunération du programme du moins son équilibre. »

Malgré ces méthodes, la pilule ne passe pas. Au printemps 2017, Arthur en personne prend le micro pour animer la matinale Radio Jack. Entouré de chroniqueurs admiratifs, il propose pendant quelques semaines un réveil fade et démodé, à base de rires qui sonnent forcé et de blagues téléphoniques. Le retour du « roi » (autoproclamé) est d’autant plus mal perçu que dans le même temps plusieurs salariés apprennent qu’ils doivent quitter l’antenne. Presque tous les programmes s’arrêtent, une dizaine d’animateurs et de réalisateurs sont remerciés, tandis que les CDD ne sont pas renouvelés à la rentrée. Le coup est, pour eux, « rude, inattendu, mal annoncé ». 

“On n’a même pas pu faire une dernière pour dire au revoir aux auditeurs ; on a été virés du jour au lendemain.” Mathieu Alterman

Parmi eux, Mathieu Alterman a dû lâcher le micro en mai, alors que son contrat courait jusqu’en juin. Il coanimait depuis 2015 Bleu, blanc, schnock, consacré à la pop des années 1970 et 1980. Ses souvenirs sont amers, sa voix encore chargée de colère. « On n’a même pas pu faire une dernière pour dire au revoir aux auditeurs ; on a été virés du jour au lendemain. » Comme lui, ils sont plusieurs à décrire en soupirant « un fossé avec la direction »,  et « un manque de communication honnête ».

La principale cible de leurs critiques : Arthur, l’actionnaire inaccessible, trop axé sur le commercial, « pas assez Oüi FM ». Emmanuel Rials, lui, est épargné. « On voyait qu’il était aussi catastrophé que nous ; il avait certainement peur de s’imposer », suppose Mathieu Alterman. Pourtant, face à nous, le président de la station monte au créneau pour défendre Arthur, qu’il connaît depuis plus de trente ans, avec la grandiloquence d’un avocat. « C’est un actionnaire de rêve, j’ai pu maintenir des émissions qui ne marchaient pas pendant trois ans en attendant qu’elles s’installent. Aucun autre ne m’aurait laissé ce temps. » Lorsque l’on évoque les anciens salariés, blessés par ses méthodes de management, il oscille entre tendresse et agacement : « Ils étaient passionnés, et notre façon de faire ne pouvait pas leur convenir. J’ai dû me séparer d’un bon nombre de gens, et ce fut un choix épouvantable. Dans des cas pareils, le patron d’entreprise prend le pas sur l’humain. »

   Arthur lors de l’enregistrement de son émission matinale Radio Jack.

   Arthur lors de l’enregistrement de son émission matinale Radio Jack. © Oüi FM

La station compte actuellement vingt-sept fréquences et a lancé l’année dernière pas moins de dix-huit webradios thématiques, dont les résultats en progression témoignent d’une meilleure santé de l’audience numérique. Du côté de la radio d’origine, les audiences sont certes en progression depuis trois vagues – elles atteignent à nouveau 2 % sur janvier-mars 2018 –, mais les résultats restent décevants au regard de la promesse de son propriétaire en 2008, qui pensait les doubler. Aujourd’hui, les dirigeants travaillent moins à l’enrichissement de la grille qu’à celui des contenus digitaux. Et l’objectif principal demeure l’obtention de nouveaux territoires de diffusion via la bande FM et la radio numérique terrestre, pour laquelle ils militent. Une stratégie pour assurer l’équilibre des comptes en vue d’une revente ? « Toujours pas ! » balaie Emmanuel Rials, lassé de répondre à cette rumeur, qui revient chaque année depuis le rachat.

En perdant aussi brutalement les voix de ses meilleurs animateurs, Oüi FM est quasi devenue une radio de flux, alternant musique et publicité. Elle émet certes sur une zone plus large, sauf qu’elle n’émet réellement plus grand-chose. L’union avec Arthur a provoqué le divorce d’avec les passionnés d’hier. D’anciens salariés amers restent sûrs que « le faire venir était comme faire entrer un bus à impériale dans un parking souterrain, on savait que ça coincerait ».

Suite à cet article, Oüi FM nous adressé le droit de réponse suivant :
« Dans un article publié le 1er mai dernier sur Telerama.fr, il est fait une présentation de notre radio OÜI FM qui n’est pas conforme à la réalité ; ce qui nous oblige, notamment par respect pour le travail quotidien de nos équipes, au présent droit de réponse.

OÜI FM esst une radio thématique dédiée au rock qui présente une offre musicale de qualité mêlant les classiques du rock et les nouveautés. Tout au long de la journée se succèdent des animateurs passionnés de musique parmi lesquels des « historiques » de la radio : Dom KIRIS et JOSQUIN.

Aussi, il nous paraît injuste pour nos salariés comme pour les artistes que nous diffusons, de qualifier notre radio de monotone.

Il est prétendu que OÜI FM est « une radio de moins en moins rock », et ce alors même que selon le baromètre Yacast, OÜI FM demeure «la radio la plus rock de France » en y consacrant plus de 96 % de sa programmation musicale.

S’agissant des prétendus résultats d’audiences décevants, il convient de rappeler que lors de l’acquisition de la radio en 2009 celle-ci était suivie par 238.000 auditeurs en France contre 350.000 auditeurs aujourd’hui, soit une progression de 47 % (source Médiamétrie). En numérique, OÜI FM est la 15e station la plus écoutée de France, et la 1ère des Indés Radios (source ACPM ex. OJD).

S’agissant de ce que l’article qualifie de « révolution managériale », la radio n’était pas du tout dans une situation pérenne lors de son rachat, aussi il a fallu supprimer les émissions qui ne rencontraient pas d’audience et explorer de nouvelles pistes pour sauver la station.

Une radio privée ne peut pas survivre en diffusant des émissions sans audience, quelle que soit leur qualité ; il en va de la pérennité de la radio et de ses emplois.

Nous avons en outre été contraints de prendre des mesures afin de faire face à la crise sans précédent que traverse le monde de la radio du fait d’une baisse constante des budgets publicitaires et du déferlement des offres de streaming qui ne sont pas régulées.
Sans la gestion responsable que nous avons menée, OÜI FM était vouée à la disparition.

Mais cela ne s’est pas fait, contrairement à ce qui est prétendu dans l’article, aux dépens de nos salariés. La présence d’animateurs historiques le confirme.

S’agissant enfin de l’émission d’Arthur : « Radio Jack » dont les qualités sont remises en cause, nous tenions à préciser qu’elle a rencontré un succès incontestable puisqu’elle fut la seule de la grille à progresser de +62,5 %. »

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