La vitalité du podcast natif repose sur la créativité de ses auteurs et autrices. Pour que l’économie du secteur ne se structure pas sans eux, la Scam les accompagne. Un article de l’autrice et journaliste Isabelle Duriez, pour la lettre Astérisque n°66.

Les Français n’ont jamais écouté autant de podcasts natifs. 14 % des Français en écouteraient même de manière hebdomadaire, une hausse de 9 % par rapport à 2019, d’après une étude Havas-CSA menée post-confinement pour le Paris Podcast Festival 2020.

Un appel d’air pour les auteurs et autrices d’œuvres sonores, d’autant que d’après Médiamétrie, le public montre une appétence pour le documentaire : 37 % des auditeurs recherchent des thématiques culturelles, 31 % des sujets de société. Une tendance confirmée par l’étude Havas-CSA : 94 % des utilisateurs estiment que le podcast « apporte des contenus vrais et authentiques », 93 % qu’il fait « réfléchir », et 93 % également qu’il est un média « libre ».

Signe que les producteurs émergents cherchent à surfer sur cette appétence d’un public jeune, urbain, CSP+, le Paris Podcast Festival et le Geste ont organisé, pour la première fois pendant le festival, un speed dating entre auteurs et producteurs. L’offre de talk (podcast de conversation) étant pléthorique, ces derniers cherchent désormais des projets plus ambitieux en termes d’écriture sonore, de points de vue plus originaux. « J’ai reçu des retours constructifs sur mes projets, observe une autrice qui y participait. Mais cette course au pitch reflète aussi la mise en concurrence des auteurs, en toute opacité. J’avoue que j’ai évité certains studios connus pour maltraiter leurs auteurs. »

L’enquête de Télérama « Peut-on gagner sa vie dans le podcast ? » confirme combien la liberté de création qu’offre le podcast a aujourd’hui « un prix : la précarité ». Rares sont les studios qui affichent les tarifs (Payetapige.com catégorie : podcast). Les rémunérations se négocient trop souvent au cas par cas. Le temps de conception et de développement n’est que rarement rémunéré. Certains producteurs imposent aux auteurs de se faire défrayer sur facture pour payer le moins possible de charges sociales, les obligeant à cumuler plusieurs statuts : autoentrepreneurs, journalistes, intermittents, auteurs, etc. Certains travaillent sans contrat, et n’ont plus rien à négocier une fois l’œuvre livrée.

« Il faut absolument communiquer entre nous pour ne pas être sous-payés », exhorte Élodie Font, autrice, documentariste, journaliste qui a travaillé avec Arte Radio, Slate, France Inter. « Les producteurs émergents de podcasts sont des start-ups qui se lancent, du coup, on n’ose pas négocier. Mais les auteurs apportent une vision créative sur laquelle ces studios bâtissent leur image, qu’ils monétisent ensuite à travers le brand content, il est juste que nous soyons rémunérés en conséquence. » Le 20 octobre dernier, l’autrice qui a adhéré à la Scam via la radio a animé un atelier sur le statut des auteurs de podcast à la Maison des auteurs, avec Vianney Baudeu, chargé des affaires institutionnelles et européennes. L’occasion de partager des conseils pratiques : demander le plus possible à être payé en salaire de journaliste ou choisir un statut prioritaire (l’intermittence par exemple), et négocier, se renseigner sur l’impact de chaque statut sur la couverture sociale, prendre le temps de lire son contrat, le signer avant de commencer à produire, etc.

« Nous avons relu pas mal de contrats dont certains contenaient des clauses abusives », a indiqué Vianney Baudeu. C’est pourquoi le service juridique a créé un modèle de contrat type pour l’écriture et la réalisation de l’œuvre audio. Camille Juzeau, autrice enregistrée à la Scam pour ses œuvres radiophoniques, a ainsi sollicité Vianney Baudeu lorsqu’elle a créé Les Baladeurs pour The Others, il y a trois ans. « À Radio France, les contrats sont tout faits. Arte Radio a une vraie démarche de protection des auteurs. Dans le podcast, il faut tout construire, explique-t-elle. Avec le service juridique, on a écrit mon premier contrat en s’inspirant des contrats de l’audiovisuel. » Aujourd’hui autrice de Bleue comme Mars pour Paradiso, elle a été payée en partie en intermittence, en partie en droits d’auteur. Et elle complète ses revenus en faisant, comme beaucoup d’autres auteurs, des podcasts de marque.

Depuis quelques mois, Cathy Hamad, en charge des relations avec les auteurs, contacte ces derniers pour les informer des services proposés par la Scam. « Certains sont très étonnés : un auteur a cru que mon mail l’informant des droits qu’il peut percevoir via la Scam était une arnaque », raconte-t-elle. Elle accompagne les auteurs à chaque étape : adhérer à la Société des auteurs, déclarer sa première œuvre sonore, faire relire un contrat, etc. « En raison de l’éparpillement des plateformes de diffusion, nous devons adapter les outils numériques de déclaration des œuvres sonores, explique-t-elle. Ce n’est pas encore parfait, aussi si vous avez des doutes, n’hésitez pas à me contacter. »

Comme l’a conseillé Élodie Font, adhérer « vaut le coup ». Et plus uniquement pour les auteurs travaillant pour des radios comme Arte Radio et Radio France, qui ont signé des accords sur les droits de diffusion des podcasts sur leurs sites et application. Depuis septembre, de nouveaux acteurs montent à bord : Binge Audio en premier, puis Bababam, puis Louie Media, puis Nouvelles Écoutes. D’autres devraient suivre, même s’il demeure quelques « studios / éditeurs » et « distributeurs / agrégateurs » qui sont encore à sensibiliser et à responsabiliser en matière de droits d’auteur. Pour les signataires, l’accord Scam leur permet de calculer simplement et de verser une redevance droits d’auteur, qui sera ensuite redistribuée à tous les auteurs et autrices de la Scam concernés.

Concrètement, quel impact pour les auteurs ? Prenons l’exemple de À la recherche de Jeanne, la série écrite par Zazie Tavitian et récompensée du Prix Scam du documentaire au Paris Podcast Festival 2020. Une enquête familiale et gastronomique sur les traces de son arrière-arrière-grand-mère déportée en 1943 au camp de Sobibor, en Pologne. Zazie Tavitian enregistrait la deuxième saison de Casseroles pour Binge Audio, quand elle a commencé à enquêter sur le cahier de recettes de son aïeule. Elle a sollicité une bourse de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. « Personne ne leur avait encore soumis de projet de podcast, raconte-t-elle. Grâce à la bourse, j’ai pu partir en Israël en septembre 2019. »

Pendant six mois, elle s’est consacrée à l’enquête, à l’enregistrement, au dérushage, à l’écriture, au montage. « En temps plein, cela représente trois mois de travail », estime la journaliste gastronomique. Rémunération : 4 000 € net en salaire journalistique. « En tant qu’autrice, on donne beaucoup de soi, en particulier quand le sujet est aussi personnel, et je n’ai pas le sentiment que la création intellectuelle soit rémunérée à sa juste valeur », déplore-t-elle. Jusqu’aux accords signés par la Scam, sa rémunération s’arrêtait là. Désormais, elle pourra percevoir des droits d’auteur complémentaires, au titre de la communication et de la diffusion de l’œuvre sonore.

Reprenons le fil de Jeanne. Le documentaire est diffusé sur le site web de Binge Audio, qui endosse alors, en plus de son rôle de producteur, celui d’éditeur et de diffuseur. L’œuvre est également diffusée et monétisée, par la publicité, via la plateforme Acast. Acast distribue à son tour le flux RSS vers d’autres plateformes d’écoute et de partage telles que Apple, Deezer ou Spotify qui n’ont aucun lien direct avec les auteurs. Ces différents acteurs seront à l’avenir invités à fournir à la Scam une documentation sur les podcasts qu’ils diffusent et monétisent, qui sera comparée avec les déclarations des auteurs.

La Scam se charge de collecter un pourcentage des recettes générées par la diffusion et la monétisation du podcast et de les répartir aux auteurs concernés, explique Stéphane Cochet, directeur des droits audiovisuels. Nous avons commencé par signer avec les producteurs qui travaillent pour les plateformes de diffusion et de partage, nous sommes en discussion maintenant avec ces plateformes : Deezer, Spotify, Acast. Nous espérons annoncer d’autres accords d’ici fin 2021. » Apple Podcast, qui représente 60 % des écoutes en France, signera-t-il ? « Il est sur notre feuille de route », répond le directeur des droits audiovisuels, qui se dit « raisonnablement optimiste », encouragé par l’accord signé avec YouTube en 2010.

« Il y a cinq ans, les vidéastes de YouTube étaient dans la même situation que les podcasteurs, explique Cathy Hamad. Aujourd’hui plus de 1 000 vidéastes touchent des droits régulièrement (26 à 37 centimes les 1 000 vues en 2019). Plus nous représentons d’auteurs et plus nous sommes en position de force pour négocier. » D’où cet appel à adhérer, même si le diffuseur n’a pas encore signé avec la Scam. « C’est gratuit, vous ne faites pas de chèque, c’est nous qui vous en faisons », a expliqué au Paris Podcast Festival Sandrine Ferra, responsable du pôle média, devant une audience d’auteurs inquiets de voir émerger un modèle économique qui les laisse de côté. « Les droits seront rétroactifs, a-t-elle assuré. Plus le chiffre d’affaires des plateformes de diffusion augmentera, plus les perceptions augmenteront et l’enveloppe à répartir entre les auteurs augmentera dans les mêmes proportions. Aussi n’attendez pas pour déclarer vos œuvres. »

Avant les premières perceptions de 2021, un autre point de vigilance est en train d’émerger : les droits d’adaptation. « Les producteurs misent sur cette nouvelle source de revenus. Ne cédez pas vos droits audiovisuels et littéraires pour rien ! » alerte Élodie Font. Après le succès d’autoédition de Binge Audio avec Les Couilles sur la table, Nouvelles Écoutes vient de sortir Mortel et La Poudre chez Marabout, Louie Media a signé avec Les Arènes, etc. Des suites qui n’ont pas toujours été anticipées dans les contrats des autrices et auteurs. Zazie Tavitian n’avait, elle, signé aucun contrat pour À la recherche de Jeanne. Elle travaille sur une adaptation en roman graphique avec une illustratrice qu’elle a choisie. « On m’a proposé d’en faire des livres, un docu audiovisuel, etc. Mais, je ne veux pas en faire n’importe quoi. C’est notre histoire familiale, elle nous appartient. »


Le soutien de la Scam à la création de podcast

Brouillon d’un rêve Sonore

Cette aide financière de 2 000 € à 6 000 € en fonction du projet est destinée à encourager les projets de création d’œuvres sonores originales, qu’elles soient destinées à une diffusion linéaire ou non. Depuis 2019, les auteurs peuvent soumettre des projets de podcasts. Les projets proposés sont sélectionnés par un jury d’auteurs pour la qualité artistique et la recherche d’un renouvellement de l’écriture sonore. Sont distinguées l’originalité, la singularité de la démarche, l’empreinte de la personnalité de l’auteur ou de l’autrice. Les projets ne doivent être ni en cours, ni achevés, ni faire l’objet d’un engagement d’un producteur ou d’un diffuseur. Les candidatures sont ouvertes chaque année en novembre. 200 projets sonores ont été soutenus depuis la création de la Bourse. Il n’est pas nécessaire d’être membre de la Scam pour postuler.

Prix Scam du documentaire du Paris Podcast Festival

Ce prix, doté de 3 000 €, a été créé lors de la première édition du Paris Podcast Festival, il y a trois ans, et récompense une œuvre du réel, telle que définie par la Scam : documentaire, reportage, récit, narration personnelle, essai, série d’entretiens, etc. La commission sonore de la Scam participe à la présélection, soumise ensuite à un jury choisi par le Festival. Cette année, le jury présidé par Pénélope Bagieu, autrice de bandes dessinées et illustratrice, était composé de Tania de Montaigne, autrice, journaliste et comédienne, Malik Djoudi, auteur-compositeur-interprète et producteur, Laura Felpin, comédienne et humoriste, et Baptiste Guiton, réalisateur de fictions sonores, comédien et metteur en scène. Le prix a été attribué à À la recherche de Jeanne, de Zazie Tavitian et Solène Moulin (Binge Audio).


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