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TribuneSoulèvements de la Terre

« Le revers de Darmanin, une victoire culturelle du mouvement écologiste »

Le Conseil d’État a suspendu le 11 août 2023 la dissolution des Soulèvements de la Terre.

La suspension de la dissolution des Soulèvements de la Terre est autant un revers pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qu’une victoire culturelle du mouvement écologiste, écrit l’auteur de cette tribune.

Stéphen Kerckhove est directeur général de l’association Agir pour l’environnement.



Vendredi 11 août, les juges du Conseil d’État ont suspendu, en référé, la dissolution des Soulèvements de la Terre voulue par Gérald Darmanin. Les attendus du jugement sont cruels pour l’hôte de la place Beauvau : « La dissolution des Soulèvements de la Terre porte atteinte à la liberté d’association. […] Les éléments apportés par le ministre de l’Intérieur ne permettent de considérer que le collectif cautionne d’une quelconque façon des agissements violents envers des personnes. »

Le Conseil d’État est venu rappeler au ministre de l’Intérieur qu’il ne lui revenait pas la responsabilité de dessiner les contours du mouvement associatif, ni d’en définir les modes opératoires. Indirectement, par cette procédure de dissolution, le ministre de l’Intérieur a cherché à alléger en radicalité le mouvement écologiste, l’expurgeant de tout un pan de ce qui a justement fait sa force et lui a permis d’obtenir quelques victoires : la désobéissance civile.

Le soutien des associations environnementales doit de ce fait être sans arrière-pensées. Une victoire du ministre de l’Intérieur aurait tout bonnement signifié que c’était désormais au gouvernement de séparer le bon grain de l’ivraie, les acteurs présentables et ceux faisant l’objet d’une traque impitoyable.

La radicalité n’est pas une option, mais une nécessité pour faire bouger les lignes

De cette vision binaire serait né un schisme stérilisant pour longtemps l’action des écologistes. En effet, ce serait être sans mémoire que d’oublier les apports de la désobéissance civile dans le combat écologique. Ce qui apparaît pour acquis comme l’interdiction de cultiver les OGM ou fracturer la roche-mère pour y puiser du gaz de schiste, l’abandon de l’extension du camp militaire du Larzac, de la centrale nucléaire de Plogoff, de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou encore du barrage de Sivens sont à inscrire au Panthéon des activistes qui ne se sont pas contentés de respecter la temporalité et les us et coutumes définis par et pour l’État de droit qui fonde encore trop souvent sa légitimité sur la destruction des écosystèmes.

En invoquant un état de nécessité, une nouvelle forme de légitime défense climatique, les soulevés de la Terre — comme en leur temps les damnés de la Terre —, ne se sont pas résignés à cogérer la fin du monde en acceptant un cadre légal mortifère de par sa cécité à l’égard des enjeux écologiques.

La dissolution avait été annoncée par le ministre de l’Intérieur le 28 mars dernier après la manifestation fort réprimée contre les mégabassines à Sainte-Soline. © Charlie Delboy / Reporterre

Trop souvent, les associations écologistes n’ont d’autre choix que celui de prêcher dans le désert, déployant une énergie fantastique pour simplement éviter que le pire n’advienne. Quand les uns ont pour principe une obligation de moyens, les zadistes et autres soulevés de la Terre intériorisent une obligation de résultat. Nous n’avons plus le temps d’essayer de convaincre l’âne qui n’a pas soif. L’urgence est notre maître et nous devons réussir. Pour ce faire, la radicalité n’est pas une option, mais une nécessité pour faire bouger les lignes.

La décision du Conseil d’État ouvre une brèche

Derrière la volonté de dissoudre les Soulèvements de la Terre, le ministre de l’Intérieur a cherché à repositionner le mouvement associatif à l’intérieur d’un cadre institutionnel qu’il sait être inefficace pour la cause que les écologistes défendent. La décision du Conseil d’État ouvre donc une brèche, car elle nous autorise à quitter les salles douillettes du ministère de la Transition écologique au sein desquelles nous nous époumonons depuis trop longtemps sans résultat tangible.

Indirectement, le Conseil d’État reconnaît la légitimité de la désobéissance civile comme l’un des outils essentiels nous permettant d’éviter l’effondrement des écosystèmes et la destruction de la nature. Cette perspective a de quoi nous réjouir même si nous ne devons pas être angéliques : les « destructivistes » n’abandonneront leur abus de position dominante que contraints et forcés. Gageons que la décision du Conseil d’État desserrera temporairement l’étau qui tentait d’étouffer la graine qui se soulève. Profitons de cette occasion pour resituer le débat sur les causes de l’effondrement et les solutions à apporter. Incidemment, ne boudons pas notre plaisir d’avoir réussi collectivement à éviter le piège tendu par le ministre de l’Intérieur, celui consistant à débattre à l’infini avec le vocabulaire de l’adversaire.

Nous ne sommes pas des « écoterroristes » lorsque nous exigeons une planète vivable. Nous ne sommes pas « violents » lorsque nous luttons pour notre avenir à tous. Derrière ce revers majeur de Gérald Darmanin se cache en réalité une victoire culturelle du mouvement écologiste dans son ensemble.

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