« Face à vous, des haies que j’ai massacrées », lance Patrick Levrard. Prunelliers, aubépines ou noisetiers ont les flancs et la tête tailladés. Sous les coups de marteau de l’épareuse, une sorte de faucheuse passée à l’automne, les branches ont complètement éclaté. « Cela faisait des années que je n’avais pas entretenu cette haie, elle avait pris trop de volume, explique cet éleveur de la commune du Bô, dans le Calvados. Alors j’ai remis tout ça à hauteur. »
A quelques mètres du pire, ce qui ressemble au meilleur : une « belle haie », haute et large de plusieurs mètres, composée de diverses essences et de différentes strates (herbacées, arbustives et arborées). « Il faut faire attention au vieillissement, remarque toutefois Marine Levrard, la fille de Patrick, qui est aussi la coordinatrice de l’Association française arbres champêtres (AFAC) de Normandie. S’il n’y a aucune gestion, elle risque de dépérir. » Aujourd’hui, cette haie ne dérange pas son père, locataire des terrains. A l’ombre, ses vaches s’y sentent bien. Mais les propriétaires des deux parcelles qu’elle sépare pourraient un jour lui demander de la couper, pour « faire propre ».
Le vieillissement et le mauvais entretien sont deux des facteurs qui peuvent conduire au déclin insidieux des haies. D’autres sont simplement rayées de la carte. Arrachées, en quelques jours. Selon les chiffres les plus récents, révélés par un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) publié en avril, 23 500 kilomètres de haies ont disparu chaque année entre 2017 et 2021. Entre 2006 et 2014, l’érosion moyenne n’était « que » de 10 400 kilomètres par an : le phénomène ne se tarit pas, il s’accélère. Au total, depuis 1950, ce sont 70 % des haies qui ont été effacées des bocages français.
Pourquoi un tel acharnement ? La principale explication tient à l’évolution du foncier agricole. La petite commune du Bô, où Patrick Levard a élevé 70 vaches laitières et allaitantes, n’a jamais connu de remembrement. « On se traîne de toutes petites parcelles que l’on ne peut plus exploiter avec le matériel d’aujourd’hui, constate-t-il. Alors soit on laisse en friche, soit on fait de la place. » Au fil de sa carrière, il a réussi à conserver l’essentiel de ses haies, parce qu’elles étaient situées en limite de propriété. « Celles qui étaient entre deux parcelles, il n’y a rien à faire, j’ai dû faire de la place. »
Intérêt écologique
Au-delà de ce village, une étude du CNRS et des universités de Caen et de Poitiers, publiée en mai, confirme le diagnostic : entre 2003 et 2016, sur les trois terrains étudiés dans les départements du Calvados, des Côtes-d’Armor et du Maine-et-Loire, dans les trois régions les plus bocagères de France, la majorité du linéaire de haies arrachées (44 %) se trouvait entre deux parcelles mitoyennes ayant été regroupées. Elles disparaissent pour faciliter le passage d’engins agricoles toujours plus imposants. « Lorsque l’exploitant d’à côté reprend la terre de celui qui part en retraite, les jours de la haie au milieu sont comptés », résume Jean-Claude Breteau, vice-président de la communauté de communes Cingal-Suisse normande chargé de la transition écologique.
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