Le travail en prison, pour préparer l’après
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Hormis le bruit du système d’aération, rien ne semble devoir troubler le silence qui enveloppe, cet après-midi d’avril, l’atelier d’insertion expérimental ouvert par le groupe Arès au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne). Passée la palpation de sécurité, obligatoire avant et après chaque séance, douze détenus du « quartier nouveau concept », en majorité des moins de 26 ans en jogging-basket, se sont vite mis au travail sous l’œil d’un surveillant.
Assis ou debout, ils détachent, classent par référence dans des gobelets puis ensachent de minuscules lettres en plastique qui permettront à l’entreprise commanditaire de graver des vitres par sablage. Les gestes sont mécaniques, 32 pièces par plaque, 150 par sachet, 8 sachets par carton. Au fond de l’atelier, le contremaître Stéphane Weismeyer réceptionne un écheveau de cordons d’alimentation de box Internet, de différents modèles, à tester, nettoyer, reconditionner. « Cela va plaire aux plus jeunes. C’est une tâche plus technique », note Alain Gibiot, responsable industriel Ile-de-France de Gepsa, filiale d’Engie chargée de la « gestion déléguée » de l’établissement. A ce titre, elle doit assurer son fonctionnement courant, dont celui de ses deux ateliers, charge à elle de trouver les entreprises lui sous-traitant une part de production.
« On est en prison mais avec un pied dehors »
Si les tâches basiques réalisées ici sont similaires à celles proposées « au grand quartier », comme on désigne à 100 mètres la maison d’arrêt et le centre de détention, aucune autre comparaison n’est possible. Ni dans les conditions d’emploi ni de travail. Projet pilote d’implantation en prison de structure d’insertion par l’activité économique1 (IAE), l’atelier d’Arès, ouvert en juillet dernier, s’inscrit dans un cadre très spécifique.
L’objectif ? Proposer à 30 détenus, à deux ans de la sortie, un sas de préparation, en leur permettant de se remobiliser intramuros, par un cadre de travail le plus proche possible des conditions de l’« extérieur » et un accompagnement socio-professionnel soutenu. Pour les inciter à se projeter. « Les détenus ne pensent qu’à sortir au plus tôt, sans se préoccuper de leur réinsertion. Il faut les y intéresser pour éviter la récidive », précise Pascal Bruneau, directeur du centre pénitentiaire. Les chiffres nationaux témoignent de l’ampleur du problème : 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont réincarcérées dans les cinq ans.
Le message est bien passé. « Ici, on est en prison mais avec un pied dehors », explique un jeune qui a suivi, il y a quelques jours, un atelier sur « les métiers qui recrutent en Ile-de-France » avec un partenaire d’Arès. Cela l’a intéressé ? Bof. Tôt déscolarisé, sans avoir jamais travaillé, il espère plutôt passer son brevet des collèges, à 18 ans. Les statistiques disent l’ampleur des difficultés. Ici, 82 % des détenus sont sans qualification ou de niveau infra-V. 66 % sont surendettés, 32 % sans logement. Plus d’un tiers souffrent d’addiction.
Des chaises pour travailler
Dans ce contexte, le travail est avant tout, « un levier d’acquisition de savoir-être plus qu’une montée en compétences techniques », souligne Armelle Dubois, directrice de cet atelier, où l’on cherche à s’adapter au rythme de chacun. « Certains n’ont jamais travaillé, ramassant l’argent facile devant chez eux. Pour eux, c’est déjà dur de se lever », assène un quadra, doyen du groupe et le seul à revendiquer un emploi salarié hors de ces murs, dans la poissonnerie d’un hypermarché. Ici, ils le font dans des conditions détonantes pour le monde carcéral, et un cadre négocié de haute lutte par les têtes de réseau de l’IAE, soucieuses de ne pas voir dénaturer leurs valeurs.
Si le contrat de travail en détention est toujours juridiquement impossible, les détenus signent néanmoins un document qui en a la valeur symbolique
Ici, ils connaissent d’avance leur salaire, puisque payés à l’heure et non à la pièce, source d’incertitudes pour tous et écueil pour les moins productifs, qui peuvent se retrouver avec une rémunération sous le seuil légal. Ici, 20 heures de travail structurent les semaines, alors qu’au « grand quartier », le travail est un privilège, accessible à seulement 240 personnes sur les 1 000 incarcérées (pour 639 places), et encore par roulement, deux semaines par mois. Autre symbole, ici ils peuvent travailler assis, alors que, là-bas, les chaises sont interdites pour des raisons de sécurité en raison du nombre de détenus dans l’atelier, 120 chaque jour.
Bâtir une solution « dedans-dehors »
Mais la différence majeure est dans le sens donné au travail, comme support et levier d’un chemin à construire vers la sortie, dans un cadre partenarial2. « Accompagner le parcours d’exécution des peines des détenus ne doit pas être uniquement l’affaire des professionnels mais mobiliser tous les acteurs, institutionnels, associatifs, du territoire, surtout les structures d’insertion par l’activité économique qui ont un savoir-faire de réinsertion », martèle Yannick Le Meur, directeur du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Seine-et-Marne, chargé du contrôle et suivi des personnes sous main de justice, dans et hors de la prison, mais peu expert sur l’emploi et l’insertion professionnelle.
Il a saisi l’opportunité de l’arrivée d’Arès pour bâtir le programme « Après » au « quartier nouveau concept ». Est né un parcours de six mois, les deux premiers gérés par les conseillers du SPIP qui travaillent avec les détenus sur les raisons de leur peine, la maîtrise de soi, le comportement en groupe, les conduites addictives via des ateliers de vie sociale, assortis de remise à niveau. Ils se prolongent dès que les détenus intègrent l’atelier, où ils bénéficient du suivi individualisé d’une conseillère socio-professionnelle, pour remettre à plat leur situation (accès aux droits, au logement, à la santé) et construire un projet de formation et/ou d’emploi.
Si les détenus le souhaitent, l’accompagnement peut se poursuivre à l’extérieur
Les premiers résultats sont encourageants. Sur les 52 détenus restés dans le programme (21 ont été exclus par l’administration pénitentiaire pour raisons disciplinaires), 24 sont sortis. Parmi eux, 38 % ont rebondi sur un CDD de six mois, 22 % en formation qualifiante ou dans une structure d’insertion, 8 % en intérim. La moitié est toujours en contact avec la conseillère Arès. Pour beaucoup, « Après » a été un accélérateur de sortie. Les juges d’application des peines ont été sensibles aux projets construits. « Sur les trois derniers mois, on constate que 69 % des détenus sortis du programme “Après” ont bénéficié d’un aménagement de peine, contre 46 % des détenus de l’ensemble du centre pénitentiaire de Meaux », précise Yannick Le Meur, directeur du SPIP 77.
L’offre des entreprises en net recul
Aussi microscopique soit-elle, au regard des 79 000 personnes incarcérées dans l’Hexagone, cette expérimentation invite à reconsidérer la place du travail en prison. A envisager l’outil de réinsertion qu’il pourrait devenir, s’il était revalorisé, en volume suffisant, articulé à de la formation, assorti d’accompagnement « dedans-dehors ». Il est l’exact contraire : dévalorisé, réalisé sans contrat ni droits associés, payé de façon dérisoire, minoritaire.
Le travail en prison est aujourd’hui dévalorisé, réalisé sans contrat ni droits associés, payé de façon dérisoire, minoritaire
Seuls 28 % des détenus travaillent
Nombre de personnes détenues ayant travailléService général : maintenance, entretien, cuisine de l’établissement pénitentiaire
Concession : travail pour une entreprise extérieure
SEP-RIEP : Service de l’Emploi Pénitentiaire – Régie Industrielle des Etablissements pénitentiaires
« Le développement du travail pénitentiaire reste largement impensé des pouvoirs publics », martèle un rapport Institut Montaigne-Fondation M6, publié en mars, qui appelle au sursaut. Car les entreprises « concessionnaires » se détournent de la prison. En 2017, elles ont employé 42 % des détenus travaillant, contre 52 % en 2008. Les raisons sont multiples : effets de la crise, délocalisation des activités, équipements vétustes, mais aussi la crainte des employeurs d’être dépeints en exploiteurs. A raison.
« Des conditions de travail du premier âge industriel »
Dernière réforme, la loi de 2009 s’est contentée de fixer un salaire minimum faible, allant selon les postes de 20 % à 45 % du Smic horaire (de 1,97 € à 4,44 €). Si elle a posé le principe d’une rémunération horaire, il est contourné dans la quasi-totalité des ateliers, où les détenus sont payés à la pièce. Sans contrat, ils ne bénéficient pas de la législation de droit commun. Pas d’assurance chômage, de congés payés, de médecine du travail, d’allocation en cas d’accident. Pas de recours en cas de suspension ou d’arrêt subit du travail. Pas de réclamations sur leurs conditions de travail, alors qu’ils peuvent travailler le week-end, voire sept jours sur sept comme les auxiliaires du « service général ».
Le salaire minimum, de 1,97 € à 4,44 € de l’heure, est contourné dans la quasi-totalité des ateliers, où les détenus sont payés à la pièce
Un chemin qu’a su trouver l’Espagne… depuis 2001. Toujours pas la France, malgré les alertes répétées du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)3 qui, en 2013 déjà, dénonçait « un dispositif qui s’apparente davantage aux conditions de travail du premier âge industriel qu’à celles de la France de ce jour », malgré la montée des contentieux, malgré deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), dont la dernière en 2015 soutenue par 375 universitaires. Le Conseil constitutionnel a tranché : l’absence de contrat de droit privé ou public n’est pas contraire à la Constitution. Sans que l’exécutif ne réagisse, jusqu’ici.
Le projet de loi de la programmation pour la justice 2018-2022 n’annonce pas de réforme
- 1. Depuis 2016, sept chantiers et entreprises d’insertion ont été conventionnées pour s’implanter en prison à titre expérimental (jusque début 2019). Pour mettre en œuvre cette disposition de la loi de 2009, il a fallu construire un cadre réglementaire, financier, technique. Deux ans ont été nécessaires : les discussions achoppaient notamment sur la question du contrat de travail et du salaire des détenus, les têtes de réseau souhaitant une rémunération supérieure au plancher légal de 45 % du Smic. Refusé.
- 2. Arès, Gepsa, les services de l’administration pénitentiaire, la DGEFP, Pôle emploi...
- 3. Créé en 2007, le CGPLP est une autorité administrative indépendante, veillant au respect des droits fondamentaux.
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