(2017) Portrait du mois : Ghania Ben Gharbia, nouvelle proviseur du Lycée français Jean Monnet

Suite à la semaine des Lycées Français du monde organisée par l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE) du 12 au 19 novembre, nous sommes partis à la rencontre de Mme Ghania Ben Gharbia, nouvelle proviseur du Lycée français Jean Monnet.

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Jusque-là, exclusivement en exercice dans l’académie de Clermont-Ferrand, il s’agit pour Mme Ben Gharbia d’une première expatriation professionnelle. L’occasion pour nous de recueillir ses premières impressions.


Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Me voilà à Bruxelles pour ma 18ème rentrée de direction. Vous le constaterez, mais il s’agit jusque-là d’un parcours basé sur une mobilité fonctionnelle plutôt que géographique. Me voilà en poste à l’étranger, en dehors de mes bases pour la première fois et aujourd’hui, quand je côtoie qui je côtoie, je trouve émouvant de me dire que je n’étais jamais sortie de mon académie d’origine.
Donc. Juste avant d’arriver à Bruxelles, j’étais proviseur d’un lycée polyvalent. C’est-à-dire qu’un peu plus de la moitié des élèves relevaient du professionnel et l’autre moitié de l’enseignement technologique. Ce qui m’a intéressé dans cette expérience c’était l’approche de formations non classiques au plan académique. Il s’agissait de formations rares comme l’optique ou la diététique avec des formations post-baccalauréat et des parcours vraiment éclectiques. Cet établissement était d’une complexité forte et cette expérience m’a permis de réaliser des choses que je m’étais promise en début de carrière, d’ajuster mon action au plus près des besoins des élèves.

Avant cela, j’ai exercé quatre années le poste de conseiller technique du recteur de Clermont-Ferrand. Une fonction qui s’intitule exactement Proviseure Vie Scolaire. Une appellation d’une incongruité totale dans la mesure où l’on est proviseur d’un lycée qui n’est pas un lycée, sans professeurs, sans élèves. Plus concrètement, c’est une fonction qui vise à conseiller le décideur académique dans des situations de complexité grande voir dangereuse institutionnellement dans les différents établissements de l’académie. En accord avec le cabinet du recteur et le corps d’inspection, nous concevions le programme de formation des personnels de direction, de la formation continue, de la formation initiale, du recrutement ou encore des situations de crise dans les établissements. Cette fonction m’a rendu modeste, observatrice et humble.

Dans une vie antérieure j’ai été proviseur adjoint. En fait, je fais le chemin à l’envers. Je reprends. En 1992 j’ai été major de promo du Concours Personnel d’Education (CPE). Et en 2000 après avoir passé le concours de Personnel de direction (major de promotion) j’ai choisi d’intégrer le lycée des nouveaux lycéens. C’est une terminologie des sciences de l’éducation. Les nouveaux lycéens sont des élèves qui selon la sociologie de leur milieu d’origine ou leur situation familiale n’étaient pas prédestinés à poursuivre leur cursus dans les filières générales. Ce lycée était donc un terrain d’étude pour les universitaires et chercheurs en sciences de l’éducation et ça a été une des raisons qui m’a motivé à faire ce choix. Il s’agissait d’une population assez complexe établie dans le nord de Clermont-Ferrand, une zone un peu difficile, avec un fort taux de chômage en particulier chez les jeunes. On m’a demandé pourquoi un choix pareil ? Pourquoi pas un établissement plus serein ? Or je l’ai trouvé très intéressant ce lycée et finalement assez serein ! C’était réconfortant de voir que l’on pouvait emmener ces jeunes jusqu’au baccalauréat.

Finalement, pour résumer, parce que j’aurai encore beaucoup d’expériences à vous raconter, je n’ai pas bougé de l’Académie de Clermont-Ferrand où j’avais commencé des études d’Anglais pour bifurquer ensuite sur des études de Lettres. J’étais très heureuse de cela parce que mon extraction sociale ne me destinait pas nécessairement à des études longues. C’est un étayage de la République, un parcours un peu imprévu que j’ai trouvé bienvenu.

Qu’est ce qui a motivé votre choix dans le fait de vous installer à Bruxelles et de devenir proviseur d’un lycée Français à l’étranger, alors même que vous étiez bien implantée dans l’académie de Clermont-Ferrand ?

Cette décision est le fruit d’une longue réflexion. Je suis née à l’étranger mais je suis à la fois très attachée à la France, où j’ai passé une grande partie de ma vie. J’ai une culture d’origine complexe. Je parle plusieurs langues. J’ai finalement toujours eu en tête d’aller voir ailleurs comment la France est représentée. Sans vraiment connaître l’AEFE, qui est pour moi un vocable récent, j’ai toujours su que l’on pouvait représenter la France à l’étranger. Puis j’ai rencontré un proviseur exerçant aux Etats-Unis, puis un autre qui rentrait d’Addis-Abeba en passant par l’île Maurice. Je me suis dit que je ne pouvais pas terminer ma carrière sans essayer. J’ai eu 60 ans cette année. Quand j’ai candidaté j’en avais 59 et je me suis dit que je m’en voudrai de ne pas essayer. J’avais demandé dans l’ordre Jounieh, au nord de Beyrouth, Dubaï, San Francisco, Rabat et Bruxelles. Quand on m’a contacté pour me proposer Bruxelles j’étais folle de joie. Je ne pensais pas du tout que l’AEFE serait aventurière à ce point-là en confiant une mission comme celle-ci à quelqu’un qui est plutôt sur sa fin de carrière, avec un réinvestissement potentiel assez limité. J’espère que je répondrai donc à leur attente.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le système des Lycées français, dépendant non pas du Ministère de l’Education nationale mais du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ?

Comme vous l’avez dit, les Lycées français ne dépendent pas du Ministère de l’Education nationale. J’ai donc quitté la maison mère. J’ai demandé mon détachement du ministère pour trois ans au minimum. Un rallongement d’un an, renouvelable une deuxième fois étant possible. L’Agence pour l’Enseignement français à l’étranger est l’opérateur public qui, sous la tutelle du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, coordonne le réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger, communément appelés « lycées français ». Ce réseau est constitué de près de 500 établissements scolaires homologués dont la liste est fixée par un accord conjoint du ministre de l’Éducation nationale et du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Ce réseau scolaire unique au monde est présent dans 137 pays et représente un atout et un levier pour l’influence de la France.

Dans votre travail quotidien cette organisation génère des changements j’imagine ?

Un grand chambardement oui. Mais c’est réjouissant pour moi de sortir du cadre. Quelqu’un m’a demandé pourquoi j’étais sortie de ma zone de confort ? J’ai répondu pour ça justement. A un moment donné une zone de confort n’est plus stimulante. Après, on peut aussi prendre le risque de trop. Mais l’envie a été plus puissante que la raison.

Aviez-vous des attentes particulières en arrivant en Belgique ?

Encore aujourd’hui j’ai la tête dans le guidon. Je suis arrivée ici le 17 août et la prise de fonction s’est faite probablement autour du 21-22 août. Il faut du temps pour prendre la mesure des choses. Je dois dire que je n’ai aucune déception jusque-là. J’ai un grand plaisir de retrouver l’enseignement général. A vrai dire, il ne me manquait pas mais je suis tellement contente de le retrouver ! Il y a une émulation différente. Des échanges intellectuels un peu différents. Cela peut paraître un peu sévère ce que je dis là parce qu’en creux on pourrait dire que ce que je faisais avant n’était pas intellectuel, mais c’est différent. Il faut l’avoir approché pour se rendre compte. Pour illustrer mon propos, j’ai été il y a quelques semaines interviewé par une jeune fille de Terminale qui représentait le journal du lycée, le Monnet Times. Elle était épatante à son âge de mener cet entretien comme elle l’a mené.

Entre les infrastructures mises à leur disposition comme la médiathèque Agnès Varda ou encore la proximité avec une résidence d’artiste, le lycée Jean Monnet semble être un établissement très stimulant pour ses élèves…

Oui tout à fait. Il y a énormément d’activités organisées ici. L’axe principal étant les langues. Tout tourne autour de cela finalement, avec un très haut niveau. On a tout ce qui existe en l’espèce. Notamment la parité horaire en maternelle. On a des petits bouts de chou qui ne parlent pas du tout français. Or, le point nodal de notre mission est de promouvoir et de favoriser l’apprentissage du Français. Ensuite on a des classes que l’on pourrait qualifier de sections européennes, sections internationales. On a aussi la possibilité de voyages, d’échanges. On a la chance d’avoir des « native speakers » recrutés afin d’assurer aux familles qu’une approche académique de la langue est enseignée mais aussi dans un esprit d’immersion ; tout ce qu’un natif peut apporter.

Enseignez-vous le néerlandais ?

Oui tout à fait. Dans la déontologie de l’AEFE il y a la prise en compte du contexte local. Le contexte local à Bruxelles est très français, spécialement ici, mais il est aussi néerlandais. Il y a donc bien sûr cette prise en compte. C’est très intelligent de la part de l’AEFE de vraiment prendre en compte cet aspect de la « langue hôte ». Il se trouve que le lycée reçoit une très large majorité de public francophone voir français. Même si quelquefois les familles sont plus complexes, franco-belge ou autre.

Justement, quels sont les profils de familles scolarisant leurs enfants au LFJM ?

On a beaucoup d’enfants dont les parents sont issus du milieu de l’entreprise. Il s’agit très souvent de cadres de grandes entreprises publiques, privées, semi-publiques. Certains ont une partie de leur vie ou de leur activité professionnelle ailleurs et doivent très souvent voyager, or pour ceux-là, le Lycée Français, où qu’il soit établi dans le monde est un vrai choix pour la continuité du parcours des enfants. Ce sont pour la plupart des gens qui ont des backgrounds très riches et intéressants. Je trouve ça d’ailleurs passionnant. Lorsque l’on reçoit un parent, on sait que l’on va découvrir un nouvel univers. L’apport de leur milieu social est en lui-même tellement riche que notre lycée doit composer avec ce cadre et adapter son offre. Les familles sont très ambitieuses et les enfants aussi.

Attention. Cela ne signifie pas que tout est parfait. J’ai été émue de constater qu’il y avait toute une stratégie de soutien, d’étayage qui était déjà mise en place au sein du lycée. Il y a énormément d’enfants victimes de « dys…-quelque chose ». Le mal du siècle dans les pays occidentaux. Or tous les efforts consentis pour l’accompagnement des élèves, le recrutement supplémentaire, les formations du personnel pour qu’ils puissent prendre en charge ces enfants-là et les faire réussir. C’est épatant ! Je ne pensais pas trouver ça ici. C’est à l’honneur de cet établissement qui pour améliorer ses chiffres pourrait gentiment inviter une famille dont les enfants ne sont pas à la hauteur des performances espérées à les inscrire ailleurs. Je n’ai même pas eu à me battre pour ça car c’était déjà comme ça !

Qu’en est-il de l’insertion post-bac ? Ou encore de l’insertion post-brevet (3ème) ?

Lille est notre académie de référence. On a un très bon service d’orientation ici, mais notre objectif en premier lieu est d’éviter le décrochage qui obligerait ces élèves à quitter le système général et se tourner vers une formation qu’on ne peut pas leur offrir. On a donc beaucoup d’étayage en aval ou encore des groupes de soutien. En revanche, pour quelqu’un qui souhaiterait se tourner vers des filières professionnelles comme l’hôtellerie ou la mécanique, le service d’orientation est de très bon conseil et tisse les liens qu’il faut en mettant en lien les familles avec les structures nécessaires. Par exemple le Lycée a créé il y a peu, un compagnonnage avec des écoles dans les métiers du verre dans le cadre d’un projet d’une de nos élèves.

Existe t’il des interactions avec le système éducatif belge ?

Nous pensons effectivement à travailler plus souvent avec les autorités belges locales en charge de l’éducation. Notamment le premier degré. Nous souhaitons nous rapprocher des écoles belges, qui sont de très bonne qualité, avec qui nous pourrions partager des moyens. Il est important que nos deux systèmes se comprennent. C’est une manière pour nous de mieux accompagner les belges qui nous rejoignent, mais aussi de laisser partir sereinement des jeunes qui auraient par leur conjoncture ou le choix de leur famille d’autres parcours à réaliser. En rencontrant l’échevine en charge de l’éducation à Uccle, j’ai appris qu’il y avait par exemple de très intéressantes expérimentations dans le premier degré très intéressantes et à deux rues de chez nous. L’idée est d’avoir aussi un clair aperçu sur la représentation française en Belgique. J’ai vu passer il y a quelques jours une conférence qui a lieu à l’Alliance française sur la différence entre lire sur papier et lire sur les tablettes numériques. De même, les possibilités qu’offrent le Consulat, l’Ambassade ou encore l’Alliance, il faut que l’on creuse ça.

Dernière question, avez-vous trouvez votre petit coin de paradis en Belgique ?

Franchement non. Comme je vous disais je viens tout juste de m’installer et la rentrée s’est faite dans la foulée. Mais à mon âge on sait ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas, et je peux vous affirmer que je suis très bien ici. C’est une capitale mais qui n’est pas écrasante. Les gens sont agréables, sympathiques. Je trouverai mon petit coin de paradis quand je commencerai à me balader sans mon GPS ou lorsque je me serai offert un abonnement de théâtre ou de concerts.

Pour en savoir plus sur le lycée Français Jean Monnet consulter leur site internet ou encore leur page Facebook.
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Pour en savoir plus sur l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger, consulter leur site internet

Prochain évènement : L’Ambassade de France en Belgique organise, en partenariat avec le Lycée Français Jean Monnet à Bruxelles, un événement exceptionnel et ouvert à tous, dédié aux lycéens et étudiants désireux de poursuivre leurs études en France. Le salon Campus France aura lieu le samedi 13 janvier 2018 de 10h30 à 16h30.

Dernière modification : 29/08/2022

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