Fontenay : les anciens immigrés latinos ne veulent pas oublier

A l’occasion des 25 ans de la Maison du citoyen de Fontenay, qui était leur foyer en arrivant en France, plusieurs immigrés d’Amérique du Sud préparent l’ouverture d’un centre de culture et de mémoire latino-américaine.

 Les immigrés d’Amérique du Sud sont déjà nombreux à s’investir dans la création d’un centre de culture et de mémoire dans la maison du citoyen, qui était leur foyer à leur arrivée en France.
Les immigrés d’Amérique du Sud sont déjà nombreux à s’investir dans la création d’un centre de culture et de mémoire dans la maison du citoyen, qui était leur foyer à leur arrivée en France. LP/Laure Parny

    Comment garder bien vivante la mémoire de la terre d'accueil des réfugiés politiques fuyant les dictatures d'Amérique latine, alors que certains d'entre eux commencent à disparaître ? Cette question commençait à hanter une partie de la communauté latino, toujours bien présente à Fontenay. « On avait tous dans la tête ce souhait d'un lieu unique de mémoire, je me suis juste décidée à formaliser la demande », raconte avec modestie Alicia Bonet-Krueger, à la tête du collectif argentin pour la mémoire.

    Une première réunion vient de se tenir entre volontaires. Leur objectif : ouvrir un centre de la culture et de la mémoire latino-américaine le 25 juin 2018, pour fêter les 25 ans de la Maison du citoyen. Entre 1973 et 1987, c'est dans ce bâtiment, alors foyer géré par la Mission de France, que près de 800 immigrés du Chili, de l'Argentine, du Paraguay, de l'Uruguay ont passé de six mois à un an à leur arrivée en France. Le temps d'apprendre à parler français, de trouver un travail et un logement. « L'exil, au départ, c'est une chose atroce, se souvient Susana, arrivée d'Uruguay à 22 ans, avec sa fille. J'avais choisi de fuir vers la France, mais c'était très dur ce déracinement. Ma fille n'a pas dit un mot pendant un mois. Ce foyer, c'est devenu petit à petit notre havre de paix. »

    Un lieu où ils ont enfin pu parler, évoquer les dictatures, leur acte de résistance, les proches perdus… « On n'avait plus de famille de sang, on s'en est reconstitué une de cœur, évoque avec émotion Norma, qui a quitté l'Argentine pour la France en 1980. J'ai gardé des affiches, des livres, des photos et je veux les laisser pour les générations suivantes. »

    La Maison du citoyen dans les années 1970. (DR)

    Alicia Bonet-Krueger et son mari Aldo avaient déjà réalisé une exposition, en mars 2016, pour les quarante ans du coup d'Etat en Argentine. « Je voulais proposer mes quelque 500 livres, les affiches, les tableaux, les photos à des lieux de recherche, mais ils ne sont pas sûrs de tout garder et moi j'ai du mal à m'en séparer. Alors si c'est à Fontenay c'est parfait », avoue celle qui s'est battue des années 1970 jusqu'en 2012 pour faire condamner, en Argentine, les assassins de son premier mari.

    Les fondateurs du centre de mémoire ont déjà pris contact avec la mairie et la Maison du citoyen pour obtenir une salle dédiée. Ils ont commencé le long travail d'inventaire de leurs documents. « Et on est tous motivés pour écrire chacun notre biographie et en faire un livre », défend Leyla Guzman, arrivée du Chili à l'âge de 12 ans. Celle qui tient la boutique associative Newen a elle aussi accumulé beaucoup de documents et d'œuvres culturelles. « Nous avons perdu dernièrement plusieurs anciens du foyer, qui nous ont légué leurs témoignages. Il ne faut pas tarder à tout regrouper. »

    Sorte de médiathèque, le centre de culture et de mémoire se veut en lien avec le présent. « Notre histoire commune doit bénéficier aux autres, estime Manuel qui a fêté ses deux ans au foyer en arrivant d'Argentine. Ça fait mal au cœur qu'aujourd'hui, les structures dont nous avons bénéficié ne soient pas là pour les nouveaux réfugiés politiques, comme les Syriens. La France n'est plus si accueillante qu'elle était. »

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