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TribuneTransports

France Inter doit cesser la diffusion de publicités climaticides

Un Airbus A319-111 d'Air France.

Matin, midi et soir, chaque auditeur de France Inter est incité à prendre l’avion. Face au « crash climatique », écrit dans cette tribune Stéphen Kerckhove d’Agir pour l’environnement, la radio publique doit interdire la diffusion de publicités climaticides.

Stéphen Kerckhove est directeur général de l’association Agir pour l’environnement.



Le retour à « l’anormal » est pour le moins violent sur les ondes de « France IntAir »... Air Transat ou Air France s’offrent en effet sur les ondes de la radio publique du temps de cerveau disponible en diffusant de façon répétitive une invitation à brûler du kérosène et à rejeter du CO2.

Alors même que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) s’époumone à nous rappeler l’urgence de la situation — les second et troisième volets de son sixième rapport sont parus en février et avril derniers —, le cynisme climatique a repris ses droits. Les vacances approchent. Occasion rêvée de revenir à nos vieux démons d’avant-Covid.
Parce qu’ailleurs n’est jamais assez loin, les négationnistes de l’urgence climatique sont à l’œuvre. Matin, midi et soir, chaque auditeur est incité à prendre l’avion. Indirectement, ces campagnes publicitaires nous en apprennent beaucoup sur ce qu’est le capitalisme, véritable « destructivisme » versant dans un nihilisme décomplexé.

Notre maison brûle, et les publicitaires soufflent donc sur les braises de cette fuite en avant. Dans cette triangulation, chacun joue un rôle bien particulier. Que les acteurs du transport aérien cherchent à vendre du transport aérien n’a rien d’inconcevable ; que les publicitaires configurent des messages transformant l’esprit critique en cerveau disponible non plus ; mais qu’une radio comme France Inter puisse accueillir de telles campagnes publicitaires relève de la plus parfaite duplicité et en dit long sur le respect des auditeurs. Alors même que le groupe public « offre » des espaces publicitaires à des associations dans le cadre de son « engagement environnemental », le fait de diffuser « en même temps » des publicités climaticides est une insulte à l’intelligence des auditeurs.

Soit les responsables de France Inter estiment que les auditeurs ont une oreille gauche écologique et une oreille droite contre-climatique et que le mélange sonore ne s’opère jamais, soit l’engagement « durable » est conçu pour justifier les errements aériens de la radio.

L’avion énergivore et réservé à une élite

La crise sanitaire que nous venons de traverser est pourtant une occasion de renoncer aux impasses du capitalisme. Le transport aérien, largement responsable de cette pandémie en diffusant le virus rapidement et sur de longues distances, a fortement chuté depuis 2020 après avoir connu une ascension vertigineuse. Entre 2002 et 2019, le nombre de passagers transportés sur les vols internationaux a en effet plus que triplé, passant de 547 millions à plus de 1,85 milliard [1]. Mais, derrière cette explosion du transport aérien supposé bénéficier au plus grand nombre, demeure un mode de transport de classe, réservé à une élite hypermobile, frappée d’une bougeotte sans cesse grandissante. En France, la moitié des déplacements aériens est le fait de 2 % des citoyens, et seuls 2 à 3 % de la population mondiale prennent l’avion tous les ans [2].

Lorsque nos oreilles grésillent du doux bruit du réacteur d’un A320 grâce aux publicités diffusées sur France Inter, nous devons nous rappeler ces chiffres. Car ils nous disent simplement que le groupe public s’adresse à une catégorie sociale très particulière, suffisamment riche pour être cynique.

Mobilisation contre l’extension de l’aéroport de Lille, en février 2022. © Baptiste Langlois/Reporterre

Être écologiste et auditeur de France Inter, c’est donc accepter cette logique de segmentation, qui est à la base de toute campagne marketing. Vous entendez ces publicités climaticides, mais elles ne vous sont pas adressées. Pour vous, France Inter a réservé ses plages de publicités écoresponsables. Le groupe public vous a réservé la niche durable et sans gluten ; un succédané écoblanchi qui permettra au service RSE du groupe de se donner bonne conscience en fin d’année.

« La duplicité ne devrait plus avoir droit de cité sur les ondes de Radio France »

Mais, en banalisant les publicités climaticides aux heures de grande écoute, le groupe adresse un message implicite que nous aurions tort de mésestimer. L’urgence climatique serait discutable, négociable, moyennant quelques dizaines de milliers d’euros. Indirectement, la notion d’urgence serait toute relative et nous aurions encore le temps. Tant et si bien que l’urgence du moment serait surtout de relancer la machine capitaliste, faite de croissance et d’emplois, de PIB et de CAC. Viendra ensuite, mais seulement « ensuite », l’urgence climatique. « Encore un instant, Monsieur le bourreau »...

En normalisant le transport aérien, France Inter prend la responsabilité d’adresser un message rassurant sur l’état de notre planète. Pire, elle ménage la chèvre écologique et le chou climatique en laissant penser qu’écouter une publicité écoresponsable en décollant d’Orly pour l’autre bout du monde ne ferait pas de vous un coacteur du drame climatique qui se joue actuellement.

Face au crash climatique, la duplicité ne devrait plus avoir droit de cité sur les ondes de Radio France. Le groupe public doit renoncer définitivement aux publicités incitant, directement ou indirectement, à un usage irrationnel de l’énergie. De grands médias, tel le quotidien britannique The Guardian, ont déjà fait le choix éclairé d’interdire la diffusion de spots publicitaires climaticides et énergivores. Radio France doit s’engager maintenant.

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