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Alain Ehrenberg : "Attention à la confusion entre l'homme social et l'homme biologique"

Par Propos recueillis par Antoine Reverchon

Publié le 14 janvier 2008 à 14h41, modifié le 14 janvier 2008 à 14h41

Temps de Lecture 2 min.

A quelle conception du fonctionnement social correspond l'émergence de la neuroéconomie ?

Au courant, classique dans les sciences sociales, de l'individualisme méthodologique : les faits sociaux (ou les comportements collectifs) s'expliqueraient en les rapportant aux comportements individuels. Les économistes espèrent ainsi améliorer leurs échelles de préférence en intégrant les émotions dans la prise de décision. Tout cela n'est donc pas neuf, seuls les outils (IRM, etc.) le sont. Sont-ils appropriés ? C'est la question.

La neuroéconomie fait partie de ce que j'appelle "le programme grandiose des neurosciences" qui identifie connaissance du cerveau, connaissance de soi-même et connaissance de la société. Le substrat biologique cérébral serait la clé de tout. C'est une vieille marchandise métaphysique ! La vie sociale, les moeurs, les usages, les coutumes, les institutions ne seraient qu'un reste. Mais il est vrai que les sociologues sont peu clairs sur ce qu'est le "social". L'intérêt des neurosciences sociales est de nous obliger à clarifier ce que nous, sociologues, faisons. Et c'est une bonne chose dans la confusion qui règne aujourd'hui entre l'homme social et l'homme biologique.

Les dispositifs expérimentaux utilisés en neuroéconomie ne permettent-ils pas de mieux comprendre les comportements sociaux ?

Il faut lire les articles scientifiques pour évaluer ce qui est prouvé. Voilà l'essentiel. Quand un chercheur écrit qu'il a démontré "le rôle du cortex pariétal inférieur dans la distinction entre soi et autrui", qu'est-ce qu'il veut dire par "rôle" ? Cette aire cérébrale est-elle l'agent causal ? Le mécanisme neurophysiologique est-il impliqué, ou dérivé, ou nécessaire, pour éprouver de la distinction ? Les expressions employées sont : "rôle, implication, sous-tendu, base, reposer sur". Les méthodes sont décrites le plus précisément possible, mais les mots à valeur interprétative sont vagues. De plus, aucun mécanisme physiologique n'a été découvert pour produire expérimentalement des émotions : ce sont donc des corrélations que l'on observe, non des mécanismes. Or, le constat d'une corrélation ne lève pas l'ambiguïté entre "quand je fais X, mon cerveau est dans l'état E" et "si je fais X, c'est parce que mon cerveau est dans l'état E", c'est-à-dire entre quelque chose qui se passe dans mon cerveau quand je fais une action et quelque chose que je fais parce que mon cerveau en est la cause. Les émotions sont ici considérées comme des entités claires aux contours précis, alors que, dans la vie réelle, tout s'enchevêtre chez l'individu. Nos raisons de faire et de désirer sont bien souvent contradictoires.

De quels risques ce biologisme est-il porteur ?

La capacité à agir par soi-même comme individu autonome étant, dans la société d'aujourd'hui, la condition de la socialisation réussie, la maîtrise de l'inhibition, de la honte, de la culpabilité, de l'angoisse ou de la dépression sont des soucis majeurs. En donnant une valeur sociale, et pas seulement médicale, au cerveau, les neurosciences sont la réponse scientifique à l'explosion de cette demande de santé mentale.

Le risque serait de croire que les solutions vont sortir des laboratoires. Hors de la neuropathologie, les retombées pratiques sont des plus faibles (il n'y en a aucune pour les patients schizophrènes, par exemple). Le problème est l'insuffisance des capacités d'accueil et de prise en charge psychiatrique des patients. Ce ne sont pas d'hypothétiques résultats futurs qui compenseront une politique de santé publique inexistante en la matière.

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