«Chaque année, plus de 300 000 offres d'emploi sont annulées faute de candidats»

Métiers en tension, innovation, ubérisation du marché du travail... Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, a répondu aux questions de quatre entrepreneurs.

Jean Bassères est directeur de Pôle emploi depuis 2011.
Jean Bassères est directeur de Pôle emploi depuis 2011. LP/ PHILIPPE LAVIEILLE

    Certes le taux de chômage reste élevé (9,7 %), mais les entreprises et l'Insee font état de signes encourageants sur le front de l'emploi. C'est dans ce contexte de reprise économique que « Le Parisien - Aujourd'hui en France » publiera, lundi 22 janvier, un cahier spécial emploi sur les projets de recrutements en 2018 et les secteurs d'avenir, région par région. En attendant, nous avons rencontré Jean Bassères, le patron de Pôle emploi. L'occasion de parler des dossiers actuellement sur le feu : métiers en tension, formation professionnelle...

    C'est au Lab Pôle emploi de Paris (XIXe) que cet énarque de 57 ans a reçu quatre entrepreneurs, Gaëlle, Nathalie, Michel et José, surpris par son franc- parler. Inaugurée en 2014, cette agence au design épuré n'a pas été choisie au hasard : on y organise des « ateliers créatifs » rassemblant chômeurs, conseillers, employeurs, recruteurs, chercheurs et entrepreneurs. Le but ? « Créer des services innovants dans le domaine de l'emploi », souligne le boss de l'opérateur public.

    Troisième mandat

    Avant d'arriver à Pôle emploi, Jean Bassères a collaboré dans les années 1990 avec deux ministres socialistes, Michel Sapin à l'Economie et Henri Nallet à l'Agriculture et à la Justice. Sa carrière l'a mené ensuite jusqu'à la tête de l'Inspection générale des finances. Une expérience au cours de laquelle il a rendu des rapports critiques sur les administrations dépensières.

    Nommé sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy à la tête de Pôle emploi, il a été confirmé par François Hollande. Affable, le dirigeant avoue qu'il n'était « pas forcément préparé » à l'exposition médiatique de son poste. Une exposition récemment illustrée par les polémiques sur le contrôle des chômeurs ou les suppressions de postes prévues à Pôle emploi. Toujours est-il qu'Emmanuel Macron l'a reconduit dans ses fonctions. Entamer un troisième mandat, « ce n'est pas du masochisme », commente le Catalan, qui assure poursuivre l'aventure « par conviction » pour « améliorer le sort des gens en difficulté ».

    « Des TPE-PME ne vont même pas recruter sachant qu'elles ne trouveront pas de candidats »

    Nathalie Thery (36 ans, cofondatrice du cabinet de recrutement 3e Sens). 3,5 millions de personnes sont sans activité alors que des entreprises peinent à recruter. Combien y a-t-il d'emplois non pourvus ?

    Jean Bassères. Moins de 5 % des offres déposées chez nous au premier trimestre 2017 ont été annulées faute de candidats, soit 150 000 offres concernant Pôle emploi. Si l'on extrapole aux autres plates-formes, la fourchette va de 200 000 à 330 000 offres par an. Ce chiffre est sûrement sous-estimé. Des TPE-PME ne vont même pas recruter sachant qu'elles ne trouveront pas de candidats.

    Quels métiers sont concernés ?

    Les aides à la personne, les métiers de la restauration et du transport mais aussi les cadres informatiques et certains profils dans l'industrie comme les chaudronniers.

    Gaëlle Girre (54 ans, dirigeante inscrite à Pôle emploi). Comment mieux faire coïncider offres et demandes ?

    On est dans une période de reprise des offres. En deux ans, le volume d'offres sans candidats a augmenté de 37 %. C'est l'un des effets de la croissance. On travaille avec les branches professionnelles et les entreprises pour mieux faire connaître ces métiers qui ont des problèmes d'attractivité. L'immersion est un bon moyen de les découvrir. Par ailleurs, 4 300 conseillers sont dédiés, depuis deux ans, aux TPE-PME. Celles-ci sont un gisement d'emplois mais ne recrutent pas tous les jours. En ce moment, on cible des TPE, dont on pense qu'elles vont recruter selon leur secteur d'activité, grâce à des algorithmes. Nous mettons en place avec elles de nouveaux services adaptés à leurs besoins.

    José Corral Gallego (49 ans, cofondateur de la start-up Skapane, spécialisée dans le big data). N'est-ce pas aussi un problème de compétences ?

    Oui. Désormais, le demandeur d'emploi trouve dans le formulaire d'inscription une liste de compétences liées à son métier. Il peut ainsi s'auto-évaluer et choisir une formation complémentaire. Cela permet aussi de proposer des métiers auxquels il ne pense pas mais dont les savoir-faire sont transposables. J'ai, par exemple, rencontré une couturière. Son entreprise a fermé. Elle est en train de se reconvertir dans le câblage des puces électroniques, grâce à sa dextérité manuelle.

    Michel Chalot (62 ans, PDG de Chalot Transports). Dans le transport et la logistique, 23 000 postes sont non pourvus. Comment y remédier ?

    Les branches professionnelles sont les mieux placées pour en parler. On est associé à l'opération Tremplin (NDLR : TRansport EMPLoi INnovation), qui analyse les besoins au niveau national.

    José Corral Gallego. Ma start-up dans la high-tech peine à recruter, faute de formation adaptée. Comment Pôle emploi peut -il nous aider ?

    Pour les jobs qualifiés, le problème vient de la formation initiale. Pôle emploi n'est pas le plus capable d'amener vers ces qualifications. En revanche, les nouvelles technologies ont aussi besoin de métiers moins qualifiés pour lesquels il faut ouvrir des parcours. Le gouvernement a annoncé un plan d'investissement sur cinq ans de 15 Mds€ pour les jeunes et les demandeurs d'emploi non qualifiés. La ministre du Travail prévoit de mobiliser les grands acteurs des nouvelles technologies pour mettre en place des formations adéquates.

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    « On réfléchit à séparer indemnisation accompagnement »

    Michel Chalot. Comment Pôle emploi peut -il aider les patrons sans emploi ?

    Ils n'ont pas le droit à l'assurance chômage mais des discussions sont en cours pour en étendre le champ aux professions indépendantes. En attendant, un chef d'entreprise inscrit à Pôle emploi bénéficie de l'accompagnement en tant que demandeur d'emploi et de toutes les possibilités de formation. Les services proposés à ces anciens chefs d'entreprise, autonomes dans leur recherche d'emploi, sont essentiellement numériques et accessibles sur emploi-store.fr, qui regroupe 300 services d'aides à la recherche d'emploi : mooc, serious games, etc.

    Gaëlle Girre. Ne faudrait-il pas une antenne spéciale pour les mandataires sociaux et les chefs d'entreprise ?

    Vous avez raison. Il faut y réfléchir. En attendant, on expérimente la mise en place de deux conseillers référents pour chaque demandeur d'emploi, y compris les chefs d'entreprise : un pour l'indemnisation et l'autre pour l'accompagnement. On aura les résultats en avril et on verra si on généralise ou pas.

    Nathalie Thery. C'est un retour à l'ancien système ANPE-Assedic ?

    Avec une différence majeure : c'est dans la même maison avec un système commun d'information.

    José Coral Gallego. Que faire pour inciter encore plus à la création d'entreprise ?

    L'assurance chômage en France est l'un des plus gros business angels. Elle aide fortement la création d'entreprise.

    Ne devrait-on pas avoir un bonus ?

    Accompagner les demandeurs vers l'entrepreneuriat permet le retour à l'emploi. C'est une solution pour les jeunes qui ont besoin d'autonomie et les séniors qui ont l'expérience et le savoir-faire. Le dispositif Activ'Créa permet d'intervenir en amont et d'explorer la piste de la création ou la reprise d'entreprise. Après, c'est au réseau d'accompagnants, de l'Adie (association de micro crédit) aux chambres de commerce, de prendre le relais.

    « Le sujet crucial du savoir-être ne concerne pas que les jeunes »

    Michel Chalot. Comment allez-vous vous associer au gouvernement pour réformer la formation professionnelle ?

    On pousse certaines idées. Mais c'est un débat politique qui nous échappe. Je souhaite qu'on donne plus de moyens pour la formation des demandeurs d'emploi. Le plan de 15 Mds€ (NDLR : pour la formation professionnelle, de 2018 à 2022) va dans ce sens. Aujourd'hui, le CPF (NDLR : compte personnel de formation) d'un salarié est plus valorisé que celui d'un demandeur d'emploi.

    Concrètement, que faites-vous pour former les demandeurs d'emploi ?

    On a beaucoup investi dans le conseil en évolution professionnelle (CEP) qui est un dispositif d'accompagnement personnalisé. Le conseiller en évolution professionnelle a besoin d'un carburant, c'est la formation. Un demandeur d'emploi à qui vous expliquez que l'orientation initialement envisagée n'est pas la bonne, qu'il faut se former, mais dont vous ne pouvez pas financer cette formation, il vous dit : « C'est très gentil mais ça sert à rien ». Nous devons avoir des financements.

    Nathalie Thery. Ne faut-il pas mettre en avant les compétences plutôt que les diplômes ?

    Pour les moins qualifiés, l'une de nos méthodes est de déceler les capacités de quelqu'un sans expérience à être, par exemple, magasinier. Des tests consistent, en un temps limité, à ranger des objets dans un environnement que l'on vient perturber avec de la musique. Résultat, on sélectionne des gens sur des habiletés, pas sur leur scolarité. Cela suppose aussi d'avoir des formations plus modulaires. Je trouve bizarre d'être obligé de suivre tout un cycle de formation alors qu'on a besoin que d'un ou deux modules. On doit travailler avec les organismes de formation pour améliorer cela.

    Récemment, vous évoquiez l'importance du savoir-être...

    Quand on parle de compétences on pense à des savoir-faire, mais il ne faut pas oublier le savoir-être. Ce que nous disent les chefs d'entreprise, c'est qu'une des causes massives pour lesquelles ils ne trouvent pas de candidats qui correspondent à leurs attentes est liée à des sujets plus comportementaux que techniques. On réfléchit à demander à des partenaires privés de monter des prestations pour aider à l'acquisition des savoir-être, à partir de mises en situation. L'objectif est qu'en septembre on puisse avoir les premiers bénéficiaires. C'est un sujet crucial et qui ne concerne pas que les jeunes.

    Gaëlle Girre. Comment vos 200 agents contrôlent-ils les chômeurs ?

    Lors de l'examen du dossier, s'il y a un doute, on envoie un questionnaire sur ses recherches. Si on n'est pas convaincu, même après un échange avec la personne, on la radie. La première fois, ses droits sont suspendus pendant 15 jours. Sur 250 000 contrôles, il y a 14 % de radiations. Mais le contrôle est aussi un moyen de dynamisation pour les gens qui sont découragés après avoir envoyé de nombreux CV sans résultat. Au lieu de les radier, on les réoriente. C'est pour ça qu'il faut que ce soit fait par des conseillers de Pôle emploi, et non pas par des personnes extérieures.

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    « Oui, des jeunes ont trouvé un emploi grâce à Uber »

    José Corral Gallego. comment utilisez-vous les réseaux sociaux et Internet ?

    Nos agences ont des pages Facebook pour donner des conseils. Sur notre chaîne YouTube, on a par exemple des vidéos de présentation de métiers. Le numérique nous fournit des outils nouveaux pour recruter, comme les salons virtuels sur Internet. L'entreprise crée son stand en ligne, se présente et recueille des candidatures. Nous avons aussi « Maintenant », une application qui permet de mettre en relation, en quelques clics et sans CV, un employeur avec un besoin urgent et un candidat.

    Nathalie Thery. avez-vous d'autres projets en cours ?

    On s'intéresse beaucoup au big data. Toutes ces données sont traitées par des data analysts. L'analyse sémantique nous permet de déceler les offres frauduleuses, grâce à des algorithmes. On a aussi beaucoup de projets très originaux comme La Bonne Boîte. Vous connaissez ?

    Personne ne connaît...

    Sur emploi-store.fr, c'est l'application la plus « likée ». Elle commence à être connue. C'est un usage intelligent de la donnée : on recommande des employeurs dont on pense qu'ils vont recruter alors qu'ils n'ont pas déposé d'offres. Attention, le conseiller est irremplaçable quels que soient les progrès qu'on fera grâce à l'intelligence artificielle.

    Gaëlle Girre. LinkedIn, Leboncoin ou Monster sont des concurrents ou des partenaires ?

    Je n'ai pas de concurrent. Mon objectif est d'avoir moins de demandeurs d'emploi, peu importe si ça se fait par notre site ou un autre. D'ailleurs, la moitié des 477 000 offres sur pole-emploi.fr n'ont pas été déposées par Pôle emploi. On estime que 80 % des offres en France sont présentes sur notre site. Mon job, c'est l'indemnisation et le conseil individualisé, pas de mettre en ligne des offres, comme Leboncoin.

    José Corral Gallego. Les plates-formes du type Uber sont-elles des employeurs comme les autres ?

    C'est incontestable : en Seine-Saint-Denis, des jeunes ont trouvé un emploi grâce à Uber. Si ces plates-formes se sont imposées, c'est parce qu'elles rendent un service. Uber, comme d'autres sociétés de VTC, recrute via pole-emploi.fr. On n'a pas jugé qu'il fallait l'interdire. Pour ce qui est de la relation entre Uber et ses chauffeurs, c'est un problème d'équilibre social sur lequel je ne me prononcerai pas.

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