Chronique «Economiques»

Macron et l’assurance chômage : attention aux effets pervers

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Aux Etats-Unis, en Suisse, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, des études ont montré que le renforcement du contrôle de la recherche d’emploi reste pour le moins contre-productif.
par Ioana Marinescu, Professeure d’économie à la Harris School of Public Policy de l’université de Chicago
publié le 3 avril 2017 à 17h56

Emmanuel Macron semble en tête des sondages pour remporter l’élection présidentielle. Il est donc utile de se pencher sur son programme économique. Le candidat d’En marche propose d’un côté une assurance chômage plus généreuse, notamment envers les indépendants et les salariés qui démissionnent. D’un autre côté, il durcit le ton : les allocations seront suspendues si le chômeur refuse deux emplois décents ou que la recherche d’emploi est insuffisante. Dans d’autres pays, l’expérience montre que de telles mesures punitives peuvent avoir des effets pervers et négatifs.

L’assurance chômage fournit des revenus pour soutenir la consommation des chômeurs. Cette assurance peut décourager la recherche d’emploi et donc accroître le chômage. Différentes études économiques montrent que supprimer tout contrôle de la recherche d’emploi mène à une augmentation significative de la durée du chômage. Il est donc logique d’imposer au moins un contrôle minimal. La question est alors : quel est le bon niveau de contrôle ? Et, en particulier, le renforcement du contrôle proposé par Macron diminuera-t-il le chômage ?

Aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, le renforcement de ce contrôle a été testé, sans succès. En effet, les chômeurs n'ont pas retrouvé d'emploi plus rapidement. Dans le Maryland, aux Etats-Unis, les chômeurs ont dû envoyer deux fois plus de candidatures (quatre au lieu de deux par semaine), ou se soumettre à un contrôle accru quant à la réalité de ces candidatures. Le retour à l'emploi n'a pas augmenté (1).

Cette mesure n’est pas seulement inefficace, elle peut même avoir des effets négatifs. Le Royaume-Uni a réformé son système d’assurance chômage au milieu des années 90. Selon le nouveau régime, les chômeurs doivent signer un contrat où ils promettent d’envoyer un certain nombre de candidatures, et d’en tenir un journal détaillé. Ce journal est vérifié lors d’une interview tous les quinze jours. Et ce n’est qu’une partie des démarches auxquelles sont soumis les chômeurs pour continuer à percevoir leurs allocations.

La recherche (2) montre que ce nouveau système a imposé un tel effort aux chômeurs qu'un certain nombre d'entre eux se sont découragés et ont complètement arrêté de chercher un emploi et certains sont passés aux allocations pour handicapés. Au final, le retour à l'emploi a diminué.

De même, lorsque les sanctions poussent les gens à trouver un emploi plus vite, cela n'a pas forcément l'impact positif attendu. Ainsi, l'expérience suisse (3) montre que les sanctions poussent les gens à prendre des emplois qui sont moins bien payés et moins stables, si bien qu'ils se retrouvent plus souvent de nouveau au chômage. Ensuite, quand le taux de chômage est élevé, la compétition est féroce, et pousser certains chômeurs à prendre un emploi en dessous de leurs compétences pour aller plus vite ne fait qu'ôter ces emplois à d'autres chômeurs moins qualifiés, dans un triste jeu de chaises musicales.

Toutes les expériences du même type menées dans d’autres pays obtiennent des résultats négatifs. Les effets pervers peuvent être très étendus : comme une diminution de la qualité de l’emploi, voire un retrait total du marché du travail parmi les chômeurs découragés. Il serait donc utile de mener d’abord une expérience pilote en France afin de quantifier les effets pervers potentiels liés au renforcement des sanctions proposé par Emmanuel Macron.

(1) www.jstor.org/stable/3270646 (2) http://dx.doi.org/10.1016/j.jpubeco.2009.09.001
(3) http://onlinelibrary.wiley.com

Cette chronique est assurée en alternance par Pierre-Yves Geoffard, Anne-Laure Delatte, Bruno Amable et Ioana Marinescu.

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