L’engagement post-it est au goût des jeunes

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Les 18-30 ans boudent les syndicats et les partis politiques. Ils privilégient les petites associations et les réseaux sociaux pour se faire entendre.

Les jeunes ne s’intéressent plus à la politique. Cette rengaine revient lors de chaque année électorale comme 2017. Les taux de participation aux deux tours de la présidentielle et des législatives de 2017 peuvent certes le laisser penser : 20 % seulement des 18-29 ans ont voté à l’ensemble de ces scrutins et leur taux d’inscription sur les listes électorales est au plus bas.

Si cette faible participation électorale des jeunes n’est pas nouvelle, le phénomène s’amplifie. Sur les quatre dernières années combinant élections législatives et présidentielles, le vote systématique, c’est-à-dire à chaque scrutin, a baissé de 32,4 % en 2002 chez les 18-24 ans à 18 % en 2017. Pendant que l’abstention systématique augmentait, quant à elle, de 13,9 % à 19,4 %. Le comportement électoral le plus répandu chez les 18-24 ans est aujourd’hui le vote intermittent : il a concerné 62,7 % des inscrits de cette tranche d’âge - la plus touchée par ce comportement - en 2017. Ce constat ne traduit cependant pas forcément un désengagement global de la jeunesse : on observe plutôt une reconfiguration de leurs formes de mobilisation.

Désaffection politique et syndicale

"La faible participation des jeunes aux élections s’explique notamment parce qu’ils sont encore dans une phase de moratoire politique, ils se cherchent encore comme citoyen", explique Vincent Tiberj, professeur à Sciences Po Bordeaux. Cette phase transitoire n’explique cependant pas tout. Au fil des décennies, la culture du vote s’est modifiée. "Chez les anciennes générations, le vote n’était pas forcément intéressé, c’était une participation de devoir, explique Vincent Tiberj. Pour les générations post-baby-boom, on vote quand on se sent mobilisé, la participation n’est donc plus systématique."

Le monde syndical est également touché par une faible présence des jeunes. "Nous estimons entre 1 % et 2 % le taux de syndicalisation des moins de 30 ans, soit 6 à 7 fois inférieur à la moyenne des salariés", indique Stéphane Sirot, historien à l’université de Cergy-Pontoise et spécialiste des syndicats. A la CGT par exemple, sur 700 000 adhérents, on compte seulement 14,8 % de moins de 35 ans (contre 23,5 % pour les 20-35 ans dans la population de 20 ans et plus) et les moins de 25 ans représentent à peine 1,2 %. "Si le phénomène n’est pas nouveau, il s’est cependant amplifié", ajoute-t-il.

Part des 18-24 ans ayant une activité bénévole régulière en Europe, en %

En cause, notamment, l’évolution du marché du travail, avec une entrée plus tardive mais surtout une stabilisation repoussée. "Or, le syndicalisme est une affaire d’inclus sur le marché du travail", précise l’historien. De plus, les nouvelles formes de travail, comme l’auto-entrepreneuriat qui se développe davantage chez les jeunes, sont des espaces où les syndicats sont peu présents. Un cercle vicieux est engagé : la faible présence des jeunes dans les centrales entraîne une difficulté pour les syndicalistes à porter et à faire connaître leurs revendications.

Fréquence du bénévolat dans une association ou autre organisation parmi les 18-30 ans, en %
Zoom Les jeunes plébiscitent le service civique

Le succès du service civique témoigne de la volonté des jeunes de s’engager. Créé en 2010, ce dispositif propose des missions d’intérêt général de plusieurs mois, dans des associations ou des structures publiques. Depuis son lancement, plus de 200 000 jeunes ont réalisé une mission, dont près de 100 000 en 2016. Le gouvernement vise 150 000 volontaires pour l’année 2018.

La montée en charge de ce dispositif s’est cependant accompagnée de critiques récurrentes sur le risque de substitution à l’emploi. "Le libellé de certaines offres de missions de service civique est parfois proche de celui d’une offre d’emploi, tant sur le contenu de la mission que sur les compétences recherchées chez la ou le volontaire", note un rapport du Conseil économique, social et environnemental1. Cette tendance risque de s’accentuer dans le contexte de la diminution drastique des contrats aidés.

  • 1. "Service Civique : quel bilan ? quelles perspectives ?", par Julien Blanchet et Jean-François Serres, Cése, mai 2017.

Le monde syndical ou la politique partisane ne sont cependant que des espaces d’expression citoyenne parmi d’autres. Le monde associatif est moins concerné par cette démobilisation de la jeunesse. Le baromètre de la Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) révèle que 32 % des 18-30 ans donnent bénévolement du temps à une association ou à une autre organisation. De plus, comparés à nos voisins européens, les jeunes Français sont plutôt plus impliqués dans le bénévolat (voir graphique). "Si un tiers des jeunes sont bénévoles, c’est bien qu’ils ne sont pas désintéressés de la vie de la société", estime Antoine Dulin, vice-président du Conseil économique, social et environnemental et représentant des Organisations étudiantes et mouvements de jeunesse (OEMJ).

Collectifs et réseaux ont la cote

Leur processus d’engagement connaît cependant des modifications importantes. Le sociologue Jacques Ion avait parlé, dès les années 1990, d’un "engagement post-it", un rapport plus pragmatique et moins idéologique à l’action. L’image du post-it, qu’on colle puis décolle, vient signifier un engagement plus sporadique et donc moins inscrit dans le temps long. Avec pour conséquence un multi-engagement et des changements de cause plus fréquents. "Les associations connaissent ainsi un turn-over plus important et ont des durées de vie un peu plus courtes", résume Mathilde Renault-Tinacci, doctorante en sociologie au Cerlis-CNRS. "Il s’agit d’un engagement moins sacrificiel dans le fait de se donner corps et âme à une cause", ajoute Antoine Dulin.

Cette transformation s’inscrit également dans une remise en question du mode de gouvernance des acteurs existants. "Ils ne veulent plus se voir imposer une idéologie par un discours dogmatique, mais il n’y a pas de dépolitisation pour autant, le court terme de l’action n’empêche pas la réflexion, nuance Laurent Lardeux, sociologue et chargé d’études et de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep). Les nouvelles générations portent une réflexion très critique et une attente forte sur l’organisation et la prise de décision avec une volonté d’horizontalité et de circulation de l’information.""Les jeunes générations expriment donc un refus des grandes associations et des fédérations historiques au profit des plus petites, plus locales et plus souples", observe Mathilde Renault-Tinacci.

Zoom Une reproduction des inégalités sociales

L’engagement varie selon le milieu social. "Le niveau d’études et de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle sont primordiaux dans la décision à la fois de faire partie d’une association et de s’engager dans une activité de bénévolat ou de volontariat : les cadres et les diplômés du supérieur s’investissent plus que les autres", résume un rapport de France Stratégie1. Ainsi en 2017, 47 % des jeunes ayant un emploi ont un engagement bénévole contre 38 % des chômeurs.

De même, 50 % des titulaires du baccalauréat sont impliqués dans une association, contre 38 % pour ceux qui n’ont pas ce diplôme. Les habitants des grandes villes sont aussi plus engagés que ceux des communes rurales (47 %, contre 42 %). Les hommes affichent un engagement plus élevé que les jeunes femmes (48 %, contre 43 %), ces dernières assumant encore largement les tâches domestiques.

  • 1. "Reconnaître, valoriser, encourager l’engagement des jeunes", par Bligh Nabli, Marie-Cécile Naves et Alice Karakachian, France Stratégie, juin 2015.

Du coup, de nouvelles formes militantes émergent, comme le mouvement Nuit debout lancé au printemps 2016. "Apparaissent des organisations plus horizontales avec des prises de décision issues de modèles assembléistes, fonctionnant par consensus ou consentement", explique Mathilde Renault-Tinacci. Le traditionnel bureau de l’association ou le conseil d’administration sont, par exemple, délaissés pour des directions plus collégiales, comme des coprésidences. Le militantisme prend la forme de collectifs ou de réseaux, des structures moins hiérarchiques. Le collectif Sauvons les riches ou Génération Précaire en sont des exemples.

"La participation à une manifestation de rue reste cependant un événement fondateur", estime Antoine Dulin. Au cours des douze derniers mois, 13 % des 18-30 ans déclarent avoir participé à une manifestation. Ce chiffre a tendance à augmenter. En 1981, seulement 34 % de cette classe d’âge avaient déjà manifesté ; ils étaient 48 % en 2008 (dernières données disponibles). Ceci s’explique en partie par un décloisonnement de la culture de protestation, qui était plutôt réservée auparavant aux seuls milieux de gauche.

Succès massif des civic tech

Autre mouvement de fond : le numérique est venu modifier en profondeur les moyens d’actions. "Le numérique vient outiller la pratique démocratique, mais apporte également un changement culturel avec l’idée de ne plus être un spectateur mais un contributeur", explique Armel Le Coz, cofondateur de Démocratie Ouverte. De nombreux outils, rassemblés sous l’expression "civic tech", se sont multipliés, balayant un large champ d’activité : pétition, participation à des concertations en ligne, ou encore veille sur l’activité des élus, etc. Certains connaissent un succès massif, comme change.org ou avaaz.org

S’il n’existe pas de données sur la part des jeunes parmi les utilisateurs et concepteurs de ces outils, "il est clair qu’il y a un fait générationnel, indique Armel Le Coz, même si la fracture numérique n’épargne pas la jeune génération". "Les civic tech sont généralement dirigées par des jeunes", confirme Léonore de Roquefeuil, cofondatrice de Voxe.org, un comparateur de programmes. Les 18-24 ans sont d’ailleurs la tranche d’âge la plus présente sur les réseaux sociaux : 94 % y ont un compte alors que la moyenne est de 56 %. Et 41 % des 18-30 ans ont déjà signé une pétition en ligne ou défendu une cause sur Internet, relève le baromètre DJEPVA 2017. En témoigne ces derniers jours le mouvement #MeToo sur les réseaux sociaux, qui dénonce des faits de harcèlement et de violences sexuelles faites aux femmes. Avec un effet immédiat au vu du débat de société qu’il a généré et de la hausse (+ 30 % en un an) du nombre de plaintes pour violences sexuelles enregistrées.

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