En attendant de pouvoir à nouveau le visiter en Syrie, le Crac des Chevaliers s’admire à Paris

Juchée sur un éperon rocheux dans l’ouest de la Syrie actuelle, “la reine des forteresses d’Orient”, place forte des Croisés, puis des Mamelouks, puis des Ottomans, et récemment de milices islamiques… est l’objet d’une exposition à la Cité de l’architecture. Quelle histoire ! 

Par Luc Le Chatelier

Publié le 23 septembre 2018 à 11h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h16

Ce château-là a tout pour plaire. D’abord un nom qui ne s’oublie pas : Crac ! Ensuite, une silhouette, majestueuse, colossale, 300 mètres de long sur 140 de large, campée en haut d’un éperon rocheux qui domine la plaine de Homs, en Syrie. De près, enfin, rien ne lui manque : tours, donjons, chapelle (devenue mosquée), créneaux, fossés, double enceinte, talus et glacis... « La reine des forteresses d’Orient », selon le médiéviste Paul Deschamps (1888-1974), véritable « réinventeur » du Crac des Chevaliers dans les années 1920-1940. En effet, dans le cadre d’une mission du Service des antiquités des Etats du Levant, conduite dans ce qui constituait alors un « protectorat français », Deschamps tombe en pâmoison devant ce qui deviendra « l’œuvre de sa vie ». En date du 12 avril 1926, il note ainsi : « Hier, ascension en auto […] vers “mon” Crac qui dépasse en beauté et en puissance tout ce que je pouvais imaginer. »

Le Crac des Chevaliers, autochrome, mission Paul Deschamps, 1929

Le Crac des Chevaliers, autochrome, mission Paul Deschamps, 1929 ©Médiathèque du Patrimoine/Charenton le Pont

Le site, à la croisée des routes vers Homs, Antioche et Tripoli, est sans doute fortifié dès l’Empire romain (63 av. J.-C. –  324 apr. J.-C.), puis de nouveau lors de la conquête arabo-musulmane (602-628). Saisi par les croisés en 1099, il passe bientôt sous le contrôle de l’ordre religieux militaire des Hospitaliers. Commencent alors de vaste campagnes de constructions qui font du Crac (déformation de l’expression « Hisn Al-Akrad » — littéralement « fort des Kurdes ») une forteresse exceptionnelle par sa superficie et son ampleur. Conquise en 1271 par le sultan mamelouk Baybars, elle passe alors sous domination musulmane, mais perd bientôt, avec l’apparition de l’artillerie, tout intérêt militaire (d’ailleurs, les milices islamistes qui l’occupèrent entre l’été 2013 et le printemps 2014 ne résistèrent pas longtemps aux assauts de l’aviation syrienne…).

Bombardement du Crac des Chevaliers en août 2013 par l’aviation syrienne

Bombardement du Crac des Chevaliers en août 2013 par l’aviation syrienne Crédit Syria963/Wikimedia Commons

Si elle rappelle brièvement en préambule cette longue histoire, la petite exposition de la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, se penche surtout, archives passionnantes à l’appui, sur sa parenthèse française de l’entre-deux-guerres. Comme investis d’une « mission civilisatrice », Paul Deschamps et ses collaborateurs — les architectes François Anus puis Pierre Coupel, et le capitaine Frédéric Lamblin, toujours prêt à mobiliser ses bataillons indigènes pour bouger les cailloux – soulèvent carrément des montagnes pour restituer au mieux cet archétype du château « normand » ou « augustien » (en référence aux forteresses construites en France au XIIe siècle sous le règne de Philippe-Auguste).

Plans, maquettes, moulages, photos autochromes, leurs premiers relevés montrent la beauté de ces murs vénérables… complètement investis par des centaines de familles de bédouins qui ont construit leurs maisons dans les cours en démontant créneaux et chemins de ronde. Pour nos archéologues rebâtisseurs, il faut donc non seulement trouver de l’argent pour mener les travaux, mais aussi évacuer les habitants qui, s’ils restent, vont « mener le Crac à sa ruine ». Ils profitent donc de l’Exposition coloniale de 1931, à Paris, pour faire connaître au public ce « monument essentiellement français, joyau chrétien du Levant ». L’État finit par accepter de débloquer un million de francs pour acquérir en pleine propriété la forteresse, le 16 novembre 1933. La somme, dit-on, sert à indemniser les habitants. Les travaux peuvent vraiment commencer. En 1935, le Crac ouvre enfin à la visite et rejoint dans les guides touristiques les autres grandes destinations levantine que sont Palmyre et Balbeek.

Lithographie signée Jean-Picart Ledoux en 1935

Lithographie signée Jean-Picart Ledoux en 1935 © Adagp, Paris

Aujourd’hui ? Emmanuel Pénicaut, l’un des deux commissaires de l’exposition, avec Jean-Marc Hofman, a pu arpenter le Crac au printemps dernier, « en touriste, depuis Beyrouth, la frontière n’est pas fermée, raconte-t-il. S’il reste un petit poste militaire sur place, le site est accessible. Apparemment, les dégâts occasionnés par les bombardements de l’armée syrienne en 2014 sont heureusement limités et, à défaut d’être encore réparés, déjà consolidés. Comme à Palmyre, dont le pouvoir d’Assad annonce la réouverture au public pour le printemps 2019, le Crac devrait sous peu accueillir à nouveau des visiteurs. » Ne serait-ce que pour prouver qu’en Syrie la normalisation est en marche.

Jusqu’au 14 janvier – Cité de l’architecture et du patrimoine

Catalogue : Le Crac des Chevaliers. Chroniques d’un rêve de pierre, sous la direction de Jean-Marc Hofman et Emmanuel Pénicaut, éd. Hermannn-CAP-MAP, 120 p., 100 ill., 19 €.

Permis de construire, le blog archi de Luc Le Chatelier

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