Une forte critique du Pacte gouvernemental de croissance pour l'ESS par le CAC et le MES

L'annonce du Pacte de croissance pour l'ESS suscite peu de réactions (voir Un Pacte pour l'ESS, construit sans les acteurs, dont une première analyse met évidence une conception orientée et des manques criants), en dehors des reprises sans commentaires de quelques mesures du pacte, que le Journal de l'Environnement résume sous le titre Un petit pacte de croissance pour l'ESS.

Le regret est unanime de la forme qui fait que les acteurs " regrettent vivement l’absence de concertation préalable " selon les termes du communiqué d'ESS France.

Coop.fr marque le coup en écrivant " Le Pacte de croissance a été présenté à la presse en amont de la présentation en séance plénière du Conseil supérieur de l’ESS. Un CSESS dépourvu de ses prérogatives, en raison du renouvellement des mandats de ses membres, qui a regretté l’absence de concertation préalable. Jean-Louis Bancel, président de Coop FR, s’est agacé de la situation, regrettant le manque d’attention porté à l’ESS et ses acteurs de terrain. « L’ESS ne demande ni commisération ni qu’on lui fasse miroiter des millions d’euros des investisseurs qui seraient soudainement pris d’une frénésie d’impact. » En tant qu’acteurs de la société civile, « nous montrerons que dans l’intérêt de notre pays, nous sommes en capacité de faire des propositions répondant aux besoins des acteurs réels. » "

L'UDES, logiquement, " regrette que le Pacte ne fasse pas état de la place accordée aux employeurs du secteur dans le dialogue social et économique national, notamment dans les instances de la protection sociale

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Seul un communiqué commun CAC, Collectif des Associations Citoyennes/ MES, Mouvement pour l'Economie Solidaire, intitulé Les plans du gouvernement pour les associations et pour l’Économie Sociale et Solidaire : en total décalage avec les dynamiques citoyennes ! procède à une analyse qui intègre le « plan d'action pour une politique de vie associative ambitieuse et le développement d'une société de l'engagement » annoncé par Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale. Nous en reprenons le volet ESS

La critique sur la méthode est vive " Le « Plan de croissance de l'ESS » quant à lui, n'a fait l'objet d'aucune discussion avec les acteurs de l'ESS (le conseil supérieur de l'ESS, espace de dialogue avec l'Etat, n'a pas été réuni en 2018).  La méthode adoptée témoigne du peu de considération pour les difficultés que voient et vivent ces acteurs qui agissent et entreprennent quotidiennement au plus près des besoins de nos concitoyens. "

Sur le fond, elle est encore plus forte

" Pour l'ESS, la démarche et les propositions sont de la même veine. Déclaration d'amour à l'alternative et au pilier que représente l'ESS, mais soumission au business... Si certaines mesures peuvent aller dans le sens d'un soutien technique aux initiatives de l'ESS, la philosophie du plan est toute contenue dans l'institution du « French impact »avec développement de fonds et de « contrats à impact social », sur le modèle des PPP (partenariat public-privé), véritable « bombe à retardement pour les finances publiques » comme le note le Sénat. Des contrats trop complaisants avec la finance, comme le souligne la Cour des comptes européenne.

Culture de l'endettement, recours au mécénat, généralisation des marchés publics au détriment de la subvention, désignation d'une vingtaine d'entreprises dites « pionnières », ouverture du service civique aux sociétés commerciales ESUS,... le sens de la politique menée est clair. L'allègement, de droit commun, des cotisations sociales, mis en place en 2019, doit apporter 1,4 milliard d'euros aux entreprises employeuses (mesure qui bénéficiera aussi à toutes les entreprises hors ESS). Peut-on s’en réjouir ? Non, si on en considère les conséquences sur le financement de la protection sociale, détruite petit à petit... Pour la période 2018/2022 Christophe Itier annonce la mobilisation de 340 millions d'euros (dont seulement 90 millions au budget de l’État, 150 millions dans le cadre du renouvellement de sa convention avec la Caisse des Dépôts, 21 millions d'euros apportés par BPI France et 80 millions d’investisseurs privés potentiels). Mais au même moment, dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances (PLF) 2019, c'est déjà 2 millions d'euros qui sont retirés au dispositif local d'accompagnement (DLA), qui a pourtant fait ses preuves dans l'accompagnement des associations...

Pendant ce temps, la politique de concentration financière s'accentue dans le social comme dans le culturel ; les multinationales s'implantent et dictent leurs règles (grands projets, lobbying, accords de libre-échange...), sans qu'aucune régulation ne soit proposée."

AJOUT

Dans La Dépêche Prospective et Sociale, Philippe Kaminski analyse ce Pacte et nous ne résistons pas à reproduire son texte corrossif, en vous invitant à vous abonner à cette publication

" S'il est quelqu'un de malchanceux aujourd'hui, c'est bien notre Très-Haut commissaire à l'ESS. Voici plusieurs mois qu'il nous annonçait la sortie de son œuvre magistrale, le Pacte de Croissance qui allait enfin nous livrer par le menu la recette miraculeuse et infaillible du changement d'échelle. Et au jour où le monument est enfin dévoilé, patatras, les Gilets Jaunes s'étaient dressés, monopolisant l'actualité, bloquant tous les accès à la scène médiatique, abattant comme un château de cartes l'ensemble du tranquille échéancier gouvernemental. Si bien que personne n'a entendu parler de ce "Pacte de croissance de l'ESS". Caramba, encore raté ! "

Pacte manqué, acte manqué

Qui est-ce qui s'est fait piquer son acte manqué ?

C'était le contrepet du jour. Redevenons sérieux : ce "pacte de croissance", malgré son style qui mélange le pontifiant et le décalé, n'est ni meilleur ni pire que la plupart des textes politiques pondus par les communicants des différents ministères, ni meilleur ni pire que la longue litanie des déclarations qui ont clôturé les conférences de l'Économie Sociale depuis trente ans.

Ceci étant, il n'apporte rien de neuf, ou si peu, malgré le leitmotiv inattendu C'est concret ; mais qui avait peur d'un excès d'abstraction ? On y reprend, et en gros caractères, le bobard des 10% du PIB, pour ensuite y détailler des promesses de budgets de soutien qui ont l'épaisseur d'une aumône ; mais qu'importent les chiffres, dès lors qu'on a les mots ?

Le document s'ouvre par une photo d'Emmanuel Macron, chemisette ouverte, tout sémillant, tout joyeux d'apporter son soutien à l'Économie Sociale, dont le ministre Rugy qui vient en second, affirme sans sourciller qu'elle " est en train de gagner le combat des valeurs ". Rien de moins !

En effet, "elle est un puissant levier pour rendre plus efficiente notre approche des défis sociaux, sociétaux et environnementaux présents et à venir, car les entreprises de l’ESS expérimentent, innovent, trouvent des solutions là où nos politiques publiques butent parfois. Elles ont toujours été pionnières face à des enjeux sociétaux tels que le chômage, le décrochage scolaire ou le gaspillage alimentaire, et elle innove en permanence pour défricher et construire de nouvelles réponses. Elles sont les fers de lance de ce nouveau modèle de société où chacun contribue à l’intérêt général. Avec le Pacte de croissance, la France se dote pour la première fois d’une stratégie globale de développement de l’économie sociale et solidaire, qui n’est plus une économie alternative mais un pilier de l’économie de demain. Forte de 200 000 entreprises, de 2,3 millions de salariés et représentant 10% du PIB en France, son potentiel de développement est considérable pour aider notre société à se transformer et porter un modèle de développement plus durable et plus humain".

Je me suis volontairement abstenu de corriger la seconde phrase, où le pluriel devient subitement singulier. Et je ne puis que constater que le discours officiel reste toujours le même : encenser jusqu'à l'obséquiosité, mais ne jamais omettre de rappeler que c'est l'État qui décide de ce que sera la société, puis qu'il condescend à faire de l'ESS une composante de sa boîte à outils, et enfin que, pour le prix de sa grande bonté, il s'occupera lui-même d'assurer son développement et de lui dire de quoi il faut qu'elle s'occupe.

Pour en terminer, je ne résiste pas au plaisir de sortir de la liste des mesures innovantes que propose le Pacte, sans en changer une virgule, deux propositions dont l'originalité, la clarté et le bien-fondé ne feront doute pour personne :

Instaurer, dès 2019, une Réunion de ministres annuelle présidée par le Premier Ministre, dédiée à l’ESS et à l’innovation sociale C'EST CONCRET : il s’agit de favoriser une meilleure prise en compte de l’ESS dans les politiques publiques dans l’anticipation de leurs politiques publiques sur l’ESS et pour que l’ESS irrigue davantage ces mêmes politiques. Cela passera également par le développement d’un réseau "référents ESS" au sein des ministères et en région.

Organiser au printemps 2019 à Paris, une Rencontre internationale des États, institutions et acteurs en faveur du développement de l’ESS et de l’innovation sociale C'EST CONCRET : Cette rencontre internationale sera la première étape d’une série de Rencontres de Haut-niveau organisées à l’occasion du Sommet des Deux Rives, du G7, présidé par la France en 2019, et du G20.

Eh oui, bonnes gens, les parlottes au plus haut niveau, c'est du concret !

 

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Michel Abhervé
Michel Abhervé Michel Abhervé assure dans ce blog une veille attentive sur les questions d'emploi, d'insertion, d'ESS, de réforme territoriale, de formation professionnelle, d'apprentissage ... avec une attention toute particulière aux incohérences des politiques publiques dans une dimension française qu'éclaire une attention à ce qui se passe sur ses sujets au delà de nos frontières Il a été dix ans professeur associé à l'université de Paris Est Marne la Vallée, où il a enseigné l'ESS et les politiques publiques dans une licence professionnelle "Management des organisations de l'économie sociale" pour ... Voir plus