Noces de sang en Turquie

Femme en pleurs après l'attentat de Gaziantep ©Reuters - Osman Orsal
Femme en pleurs après l'attentat de Gaziantep ©Reuters - Osman Orsal
Femme en pleurs après l'attentat de Gaziantep ©Reuters - Osman Orsal
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Chaque matin, l’actualité vue au travers de la presse étrangère. Aujourd’hui : au moins 51 personnes ont été tuées par un kamikaze lors d'un mariage en Turquie, un attentat portant "probablement" la signature du groupe État islamique.

Partout les mêmes images à la Une des journaux, des femmes hurlant leur douleur en Une notamment du quotidien turc HURRIYET DAILY NEWS, des hommes portant le deuil, lourd comme autant de cercueils soutenus à bout de bras en première page ce matin du WALL STREET JOURNAL, mais aussi cette chaussure d’enfant isolée sur le site du NEW YORK MAGAZINE, une basket rouge, seule au milieu des débris provoqués par l'attentat et témoignant, là aussi, de l’horreur de cette attaque suicide qui a fait au moins 51 morts et près de 70 blessés ce week-end en Turquie, soit l'attentat le plus meurtrier perpétré dans le pays depuis le début de l'année.

Pour Besna, rescapée du massacre comme son époux, ce qui était censé être l'un des plus beaux jours de sa vie est devenu le pire. "Ils ont transformé notre mariage en bain de sang", a-t-elle simplement déclaré, hier, en quittant l'hôpital. Dans les colonnes du journal HURRIYET, une blessée raconte que l'attaque a eu lieu au moment où la fête se terminait. Il était un peu moins de 23 heures. "Nous étions assis sur des chaises, dit-elle, je discutais avec un de mes voisins. Il s'est effondré sur moi durant l'explosion. Et s'il n'était pas tombé sur moi, alors je serais probablement morte à sa place". De très nombreux témoins livrent des descriptions de la scène de l'attentat, toutes plus effroyables les unes que les autres. L'un d'eux, photo à l'appui, montre dans la paume de sa main les morceaux de ferraille qui sont entrés dans les corps des victimes. Quant à Hilmi, il précise au NEW YORK TIMES : "nous ne pouvons même pas organiser les funérailles parce que tous les corps sont en pièce et l'identification difficile à mener".

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L' attentat n'a pas été revendiqué

Dès hier, le président Erdogan a expliqué que cette attaque portait «probablement» la signature du groupe État islamique, l'organisation qui n'a pas pour habitude, on le sait, de revendiquer ses attentats en Turquie, préférant généralement laisser planer le doute sur l'idée qu'ils pourraient avoir été perpétrés par les kurdes du PKK. Un peu plus tôt, en milieu de semaine, le sud-est et l'est de la Turquie ont été secoués par pas moins de trois attentats, qui ont fait 14 morts et ont été attribués par Ankara au PKK. Sauf que dans le cas présent, c'est impossible, puisque ce sont justement les kurdes qui ont été visés dans cette attaque. Il faut dire que les djihadistes de l'EI les perçoivent comme des ennemis. En Syrie voisine, les milices kurdes sont, en effet, en première ligne dans les combats et ont infligé à Daech de nombreuses défaites au cours de l'année écoulée.

Le quotidien HURRIYET DAILY NEWS précise également qu'à la douleur des familles endeuillées se mêlait hier la colère contre le régime d'Erdogan accusé de ne pas avoir protégé la communauté kurde. Lors des funérailles, hier, un groupe a d'ailleurs lancé des bouteilles sur la police. "Honte à toi Erdogan!", ont crié certains manifestants à l'adresse du président, lui reprochant de ne pas les avoir protégés de l'attaque contre un mariage kurde que l'organisation État islamique avait pourtant promis de commettre. Dans un communiqué publié quelques heures après l'attentat, le parti pro-kurde HDP a précisé que depuis plusieurs années, déjà, la ville de Gaziantep était devenu un refuge pour Daech. Depuis longtemps, les habitants de cette province ont dit que l'EI y renforçait sa présence. Or après le massacre d'octobre qui avait fait 103 morts dans un double attentat-suicide, "nous savions qu'une attaque contre un mariage kurde était projetée", affirme toujours le HDP, avant de préciser : "malheureusement et malgré les mises en garde, le pouvoir politique n'a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher ces projets".

L'auteur de l'attentat serait un adolescent

Il s'agirait d'un kamikaze âgé de 12 à 14 ans, nous apprend le quotidien suisse LE TEMPS. On ignore encore s'il s'est fait exploser ou s'il portait des explosifs actionnés à distance. Les restes d'une veste d'explosifs ont bien été retrouvés sur les lieux, selon le parquet. Les forces de sécurité sont également à la recherche de deux personnes qui l'accompagnaient. Quoi qu'il en soit, l’utilisation d’enfants ou d’adolescents comme kamikazes est apparemment une première dans la vague d’attentats particulièrement meurtriers qui secoue la Turquie depuis un an.

Des liens présumés entre le pouvoir turc et les islamistes

Cet attentat intervient quelques jours seulement après la fuite d'un document du gouvernement allemand classé "confidentiel" évoquant les liens entre le pouvoir turc et les groupes islamistes.

Le gouvernement du président turc Erdogan aurait soutenu ou soutiendrait encore des groupes islamistes armés en Syrie, peut on lire notamment sur le site de la DEUTSCHE WELLE. C’est parce que l’islamisation de la société tient à cœur à Erdoğan qu’il a soutenu Daech en Syrie et en Irak, financièrement et militairement, et ce il n’y a encore pas si longtemps, peut on lire également sur le site de la radio roumaine, cette fois-ci, EUROPA LIBERA. Un soutien comparable à celui apporté par l’Arabie Saoudite, un autre partenaire peu intègre de l’Occident. La Turquie a également appuyé les djihadistes du front Al-Nosra en Syrie, une branche d’Al Qaïda dont le mot d'ordre était encore récemment la destruction du monde occidental.

Et d'ailleurs, conclue ce matin la journaliste franco-syrienne Hala Kodmani dans les colonnes de LIBERATION, si Daech a choisi, pour l'heure, de ne pas commenter l'attentat qui lui est attribué, c'est aussi parce que l'organisation est guidée par le souci de ne pas entrer en conflit avec les autorités turques et surtout ne pas rompre les multiples complicités et liens vitaux qu'elle conserve dans le pays, y compris parmi les services de sécurité turc.

Par Thomas CLUZEL

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