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Interview

Satya Nadella (Microsoft) : « Le défi de l’homme est de reprendre le pouvoir sur les données »

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Par Romain Gueugneau, David Barroux

Publié le 7 oct. 2016 à 07:30

Satya Nadella est le directeur général de Microsoft. Né dans le sud de l’Inde en 1967, il a émigré aux Etats-Unis pour poursuivre ses études, après avoir obtenu un premier diplôme d’ingénieur en électricité. Passé par les universités du Wisconsin et de Chicago, où il a étudié l’informatique et le commerce, il est entré chez Microsoft en 1992.

Ce passionné de cricket a gravi tous les échelons et a travaillé dans toutes les divisions avant de prendre la tête du groupe en février 2014, et devenir ainsi le troisième patron de Microsoft depuis sa création (après Bill Gates et Steve Ballmer).

De passage en France cette semaine pour participer à la conférence annuelle Microsoft Experiences, il revient pour « Les Echos » sur la transformation numérique de la société, son impact sur les entreprises et le grand public. Il aborde le rôle des géants de la « tech » dans ce contexte, et le changement de culture à l'oeuvre chez le numéro un mondial du logiciel.

Après la déferlante d’Internet et des smartphones, comment la technologie va-t-elle encore impacter la vie des entreprises dans les dix ans à venir ?

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Avec la quatrième révolution industrielle qui est en cours, les entreprises vont devoir apprendre à extraire l’intelligence des montagnes de données produites et collectées. Dans chaque secteur professionnel, que ce soit l’agriculture, la santé, la finance ou les services, les entreprises vont voir leur activité se digitaliser de façon croissante et accélérée. Le défi sera de savoir comment utiliser les informations et les outils technologiques permettant d’améliorer la façon de travailler, la faculté à prendre les bonnes décisions et à anticiper les besoins des clients pour mieux les servir. Les modèles économiques vont évoluer : les marges ne se feront plus seulement sur les produits et les services que les entreprises vendent, mais aussi sur la bonne utilisation des composants numériques qu’ils intègrent. Quand Renault-Nissan décide de travailler avec Microsoft par exemple, c’est pour améliorer l’expérience utilisateur à l’intérieur comme à l’extérieur de la voiture. Le numérique est partout, et ce serait une erreur de vouloir le nier, ou le relativiser.

Et l’impact pour le grand public ?

Nous sommes aujourd’hui submergés d’informations. Il y a aujourd’hui plus de terminaux connectés que d’êtres humains sur la planète. Mais nous manquons de temps et d’attention. Toutes les notifications que l’on reçoit chaque jour représentent finalement plus du bruit digital que de réels signaux intéressants à interpréter. Le défi de l’homme est de reprendre le pouvoir sur les données, de leur donner du sens. Un outil comme Cortana, l’assistant numérique développé par Microsoft, s’inscrit dans cette logique : l’idée est de mieux se connaître grâce à la technologie, et notamment aux techniques d’intelligence artificielle, afin de pouvoir mieux profiter de chaque moment de la vie. Cette capacité à mieux analyser les data doit aller de pair avec une certaine forme de confiance de la part des utilisateurs et de respect de leur vie privée.

Le progrès technologique est souvent associé à la destruction d’emplois. Ce sera aussi le cas à l’avenir ?

Toutes les technologies qui sont nées avec les différentes révolutions industrielles ont eu un effet disruptif sur l’économie et la société. La question est de savoir comment gérer cet effet. Que ce soit pour une entreprise comme Microsoft, pour un pays comme la France ou pour la société en général. La meilleure des réponses à ce défi est l’éducation. Si l’on considère que, dans le futur, tous les secteurs d’activité seront impactés par le numérique et qu’il faudra donc disposer de nouvelles compétences pour ne pas être laissé sur le bord de la route, c’est maintenant qu’il faut agir en formant la population. Et pas seulement les écoliers ou les étudiants, mais aussi les salariés qui doivent apprendre de nouvelles choses. Cela fait justement partie de notre job chez Microsoft, et c’est très excitant. Le rachat en cours de LinkedIn, le réseau social professionnel, va tout à fait dans le sens d’une nécessaire adaptation aux métiers du futur.

Dans ce monde-là, quel est le rôle de Microsoft ?

Je me pose souvent la question : pourquoi Microsoft existe ? Notre mission, c’est d’offrir la capacité aux personnes et aux entreprises de faire plus, de faire mieux. C’est notre raison d’exister, et ça l’a toujours été. Microsoft a toujours fourni les produits, les services et les plates-formes pour aider les autres à concevoir leurs propres produits et leurs propres services. C’est notre ADN, et l’essence des premiers projets de Bill Gates lorsqu’il a quitté l’université ! Rien n’a changé en quarante ans d’existence. Je suis toujours aussi excité par ce qu’un groupe comme Schneider Electric va pouvoir construire comme services en s’appuyant sur nos infrastructures de « cloud computing ». Nous sommes des fabricants d’outils au service de la révolution numérique.

Jusqu’à maintenant, Microsoft était surtout associé à Windows et Office, qui ont fait sa fortune. Demain, à quoi ressemblera Microsoft ?

Microsoft est une entreprise qui renouvelle de façon perpétuelle ses produits. Prenez Windows par exemple. Nous avons conçu la dernière version de notre système d’exploitation non seulement pour fonctionner sur un PC comme sur un écran plus petit, mais aussi sur nos lunettes de réalité virtuelle HoloLens ou encore sur des objets connectés. Désormais, il faut voir Windows 10 comme un service, et pas un logiciel dédié à un seul et unique terminal. Office, maintenant disponible en mode cloud, n’est plus seulement une suite logicielle, mais un véritable outil d’aide à la productivité et à la collaboration à l’intérieur d’une organisation. Et Azure fait office d’infrastructure vitale pour aider les entreprises et les administrations dans leur transformation numérique. Chacun de ces outils qui font Microsoft évolue dans le temps et apporte toujours plus de solutions. Microsoft a toujours dû et su se réinventer.

Le phénomène du « cloud computing » bouleverse les modèles économiques dans l’industrie, où l’on passe de vendeur de logiciels à fournisseur de services. Comment Microsoft vit cette petite révolution ?

Quand une industrie se transforme, vous n’avez pas vraiment le choix, vous vous adaptez. C’est ce que nous faisons depuis plusieurs années, et plutôt bien. Si nous avons engrangé les succès dans le passé, nous continuons à le faire aujourd’hui. Si nous n’avions pas réussi notre transition vers le modèle du « cloud  », vous ne seriez pas ici à me poser des questions.

Mais cela nécessite un profond changement culturel dans l’entreprise.

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C’est le plus compliqué. Quand tout va bien, vous ne vous posez pas de question, vous foncez, vous ne prenez pas le temps de regarder en arrière. Lorsqu’un nouveau concept débarque, avec de nouveaux acteurs, il faut trouver de nouvelles compétences pour s’adapter. D’un point de vue culturel, vous avez du mal à accepter le changement, vous allez même le combattre. Mais c’est le job du PDG d’inciter l’organisation à l’accepter et de montrer aux salariés qu’ils ont un grand rôle à jouer. Chez Microsoft, on doit passer d’une mentalité de « sachant » à celle d’« apprenant ». Et ce n’est pas une mince affaire. Pour vouloir apprendre, il faut d’abord admettre que vous ne savez pas tout. Pas facile quand on vous dit depuis des années que vous êtes les meilleurs. C’est pourquoi l’exemple doit venir d’en haut, et de moi notamment. Il faut savoir marier l’humilité et la confiance.

Microsoft a beaucoup prospéré en profitant d’une situation de quasi-monopole sur le marché du PC. Comment réussir dans un monde beaucoup plus ouvert ?

Notre succès dépend de notre capacité à constamment innover. C’est la seule issue. Et je ne passe pas mon temps à regarder ce que nous avons fait dans le passé. Ce qui m’intéresse, c’est le futur et comment aider nos clients à travailler mieux et à continuer à croître dans le nouveau monde qui se dessine. Microsoft doit être ce partenaire de confiance sur lequel s’appuyer pour accompagner la transformation numérique.

Beaucoup d’observateurs parlent de l’influence de votre personnalité sur la culture du groupe…

Je me suis rendu compte, au fil des ans et au fil de mon expérience, que les succès comme les échecs dans une entreprise étaient toujours attribués au PDG. Vous devez être capable d’assumer cette responsabilité même si les succès comme les échecs sont souvent exagérés. Le job du PDG, c’est de fixer le cap stratégique et d’accompagner les changements dans la culture d’entreprise.

Microsoft avait été ringardisé par les Gafa. Mais il semblerait que l’entreprise soit redevenue « cool » …

Quand vous avez eu du succès et qu’un nouvel acteur débarque, c’est toujours ce dernier que l’on va admirer. Mais cela ne veut pas dire que vous ne pouvez pas être cool à nouveau ou que vous ne connaissez plus la réussite. D’ailleurs, je n’ai pas l’impression que l’on ait été si ringardisé que cela. Avant, nos concurrents s’appelaient Oracle et IBM. Ils étaient cool aussi à l’époque. Maintenant, ils s’appellent Apple, Amazon et Google. Ça change. Après si vous me dîtes qu’on est redevenu cool, tant mieux ! Mais peut-être que tout le monde est cool au final…

Cela pose la question de l’attractivité de l’entreprise. Aujourd’hui, il y a une vraie bataille pour attirer les talents…

Je suis cela de très près. Les jeunes étudiants qui sortent des grandes universités sont essentiels à la croissance de notre groupe. Après, je ne suis pas sûr que le choix de l’entreprise où travailler se base vraiment sur : “Qui est la plus cool ?” Pour attirer des jeunes il faut déjà comprendre quelle est la mission de l’entreprise. Si vous venez chez Microsoft, c’est pour fabriquer les produits et fournir les technologies qui permettront de façonner l’économie de demain. Dans la tech, tout le monde travaille sur l’intelligence artificielle par exemple, mais tout dépend ensuite de ce que vous en faites. Vous avez le choix entre travailler pour améliorer le taux de clics sur un lien sponsorisé ou bien pour aider à améliorer la vie quotidienne des gens.

Les pratiques concurrentielles et fiscales des sociétés américaines de la tech comme Google et Apple sont montrées du doigt en Europe. Quel regard portez-vous sur le sujet ?

Attention, il ne faut pas généraliser et mettre toutes les entreprises américaines de la tech dans le même panier. Nos identités sont différentes. Quand nous investissons dans un pays, nous faisons très attention à ce que cela profite à tous. En France, nous nous soucions du développement économique, du succès des entreprises et des entrepreneurs. Nous ne sommes pas là juste pour prendre et ne rien rendre en retour. Ce n’est pas comme cela que l’on construit des relations et une activité durables dans un pays. Nous ne sommes pas une simple société Internet. Notre devoir est de contribuer à l’économie locale.

Vous êtes né en Inde. Ne craignez-vous pas que cette révolution industrielle, celle du numérique, fasse des laissés-pour-compte et n’accroisse les inégalités ?

Sur un plan technologique, il n’y a plus tant de différences que cela entre la région dans laquelle je suis né et là où je vis aujourd’hui aux Etats-Unis. Dans les deux pays, on peut par exemple utiliser le même algorithme ou les mêmes logiciels pour tenter de réduire les taux d’échec dans l’éducation. Mais cela ne nous empêche pas de nous interroger pour voir comment la révolution technologique peut jouer un rôle positif dans la diminution de la pauvreté dans le monde, la résorption des inégalités ou encore la préservation de l’environnement. Nous avons rédigé un manifeste, « Le Cloud pour le bien », dans lequel nous faisons certaines recommandations.

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