Près de trente-cinq ans après le retour de la démocratie en Argentine, les crimes commis par la dictature militaire (1976-1983), qui a fait 30 000 disparus selon les organisations de défense des droits de l’homme, sont à nouveau source de débats. Une vive polémique ne cesse en effet d’enfler à Buenos Aires après un verdict, rendu le 2 mai par la Cour suprême, qui permet une réduction des peines de prison des anciens tortionnaires.
Dans un pays donné en exemple dans le monde pour les procès et les condamnations des criminels du régime militaire, de nombreux juristes s’inquiètent de cette décision. Les défenseurs des droits de l’homme ont donc appelé à une manifestation, mercredi 10 mai, à Buenos Aires. Le verdict concerne le cas de Luis Muiña, arrêté en 2007 et condamné en 2011 à treize ans de prison pour sa participation dans les enlèvements et les tortures de cinq travailleurs de l’hôpital Posadas, dans la province de Buenos Aires, le 28 mars 1976.
« Une situation régressive »
Trois des cinq membres du tribunal suprême ont jugé que M. Muiña, en liberté conditionnelle depuis avril 2016, pouvait bénéficier d’une loi baptisée « 2 x 1 », qui compte double les jours passés en détention préventive. Cette loi, votée en 1994, avait pour but de désengorger les prisons, les prévenus pouvant passer de longues années enfermés avant leur procès. Mais elle a été abrogée en 2001 car elle n’a pas permis d’accélérer les procédures.
Les trois juges de la Cour suprême se sont fondés sur le principe de l’application de la peine la plus favorable au prévenu, alors même que les délits dont M. Muiña a été accusé ont été commis avant le vote de cette loi, et qu’il a été arrêté après son abrogation. Les défenseurs des droits de l’homme craignent que ce verdict controversé permette désormais à quelque 700 militaires, policiers et civils actuellement en prison de bénéficier de remises de peine. Ce pourrait être le cas d’Alfredo Astiz, condamné en France en 1990 à perpétuité pour la disparition de deux religieuses françaises. Plusieurs ex-tortionnaires ont déjà demandé à bénéficier de la mesure.
« Les crimes contre l’humanité ne peuvent être considérés de la même façon que ceux de droit commun, a dénoncé l’avocat constitutionnaliste Daniel Sabsay, d’autant plus que la loi du “2 x 1” a été abrogée. C’est donc une situation régressive. » Une opinion que partage Adolfo Pérez Esquivel, Prix Nobel de la paix en 1980, qui pointe « le mal profond fait à toute la société, au droit, à la vérité et à la justice ». Hebe de Bonafini, la présidente des Mères de la place de Mai, a exprimé son « dégoût » tant pour la Cour suprême que pour le gouvernement de centre droit du président Mauricio Macri, affirmant que « les juges sont également complices » de la dictature.
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